Ma
première pensée de l'éveil : Le destin
se moque de moi, ou bien m'aime d'une tendresse grand-parentale. Un
message qui m'en joie, m'en vie, m'en lève ; la vie de la journée
me dispersera, je me dois d'oublier ce que je ressens, d'écraser
la moindre étincelle, que cela ne braise plus, que cela ne s'enflamme
plus, que cela s'apaise, que cela devienne politesse, tendresse, et
autre baliverne de mollesse. Je rejoins
Julien au bar du village de Laugnac. Il y allait rejoindre deux jeunes
filles rencontrées lors d'une balade la nuit dernière.
Tablée, mère, autres personnages, je pense à Hamlet.
Sans aucune logique. Ils nous proposent de la tarte. Du poison ? Je
ne mange pas de fruits. Je me sens bien, ici, désormais, loin
d'elle, j'oublie vite en fait. Il me suffit de rester quelques secondes
devant un miroir, de relire un mot pour me sentir jeter sur un récif
ciselant, découpant, cruel, assassin… Une colère
informe, insipide… J'ai la tête d'un homme qui n'aurait pas
dormi durant des jours, des nuits, des verres d'alcool blancs. Des nuits
blanches, Gin, Tequila, Vodka. Il n'y a plus de train libre demain.
Je voyage loin d'elle, elle est un Ithaque où je ne reviendrai
jamais. Je suis un Ulysse fuyard, un goguenard qui prend la route inverse
à celui de Phileas Fogg ou de Rahan, fils de Craos. Je me casse,
nulle amulette au cou, seules mes jambes, ne pas se retourner, fuir
au précipice. Solitude plus que ça, solitude, c'est être
à côté des autres, c'est être à une
distance des autres. Je cours loin encore de ça. Je veux être
seul de la solitude. Vide. Plus que ça encore, tout de même,
je pointe un éden qui n'existerait pas, c'est ça. Etre
vide dans un espace sans bornes, un espace qui ne le serait pas, un
lieu primordial, pas un lieu, un état, comment nommer ce monde,
tous ces mots appellent des limites. Seuls Dieu et la mort n'en ont
pas. Julien
joue au billard avec les filles et l'un de leur copain. Je bavarde avec
le tenancier, un homme sympathique, à la voix melliflue, il me
faut bien tendre l'oreille. Quelques bières, je joue ensuite
au baby-foot avec la mère, puis la fille, puis en doublette,
avec Julien et les pitchounettes. Fabien arrive, légèrement
énervé, il tourne depuis une heure, le téléphone
domestique ne répondait pas, je ne comprends pas, mon père
devait faire le lien entre nous. Mais Fabien est magnanime. Après
une bière, nous partons à Agen. Les filles, elles, iront
chez leur père. En cité agenaise, on boit des verres,
des filles décampent à notre passage et nous libèrent
une table. On farfouille à la recherche de Penthouse, je le quémande
à la caisse, Julien hurle l'avoir trouvé. Je l'achète,
grivoise avec la caissière, parle de Bordel, je suis un roi des
RP. Je découvre les photos, leur auteur, Sandrine certainement,
papier de Laurence " Raimundo ", qui me donne le titre de
" rédacteur en chef " de la revue, bien à toi,
multitude d'insultes vole dans le ciel de cette belle après-midi,
entre amis. Je déteste le titre de " rédacteur en
chef ", je suis initiateur, fondateur surtout, directeur même
si je veux la jouer branleur. Mais pas rédacteur en chef !
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