Je suis dans le RER. Attaché à ma rame, comme dans un roman de Jauffret. Les choses se répètent, et pourtant n'acquièrent aucun sens. Je perpétue une habitude prise. Je subis. Je réagis, seulement dans des solutions fractales. Onirique. Sans issue ; pour reprendre le titre d'une nouvelle de Lucas Degryse, lue récemment.
L'échappatoire dans l'observation. Scruter l'environnement. La biosphère ferroviaire. Ne pas penser. Ne pas ressentir une émotion vivante. Désobligeante. D'une histoire navrante. D'un rêve perdu. Il faut observer, et s'échapper.

S'accrocher à un visage, à un rictus, à une coupe de cheveux, à des lignes précises. Là, à quelques mètres, une jeune fille, avec une coupe années 80, gonflée, volumineuse, avec des boucles, avec un très accentué effet brushing. Entre Michèle Pfeiffer et la sœur de Tony Montana dans Scarface. Son sourire me sauve. Toujours cette recherche d'un sourire. Elle ne me regarde pas, je n'existe pas pour elle. C'est flagellant de prendre conscience de sa non-existence, là, précisément, en face d'un sourire Floridien.
Des gens grouillent dans la rame, à une gare, où nous stoppons, si souvent. Ils me cachent ma " sortie ", ma liberté. Ils se dissipent. Personne n'a choisi, cette fois-ci, le siège qui m'enlèverait ma vision.
Ce n'est qu'une question de temps, celui qui enlèvera ta vision arrivera tôt ou tard. Vincent Delerm, Pierre Desproges…

Savoir prendre la mesure des choses. Des événements. Caroline se fait muette, absente, lointaine… Heureuse dans les bras de Cyril, qui n'est plus, étrangeté de l'inversion, de l'aversion, " mon ami ", mais celui qu'aime la femme à qui j'ai dit je t'aime. L'aime je ?
Je ne sais plus, comment aimer quelqu'un qui ne vous aime pas et vous trouve laid, à ne pas être embrassé ?

Un sourire se cache, là, toujours près de vous. L'aura que l'on me prête, bordel, où est-elle ? Elle n'a pas pesé lourd face aux lèvres drues d'un jeune homme sympathique.

Un message vous sort de votre léthargie, vous ramène à la vie. Nischa, la charmante Allemande, disparue depuis bien trop longtemps, pavoise sur ma boîte mail. Elle me demande des nouvelles de la soirée, de mes projets. Malheureusement, la soirée a déjà eu lieu. Heureux hasard de ce message enjoué. Que la vie reprenne sa route heureuse. " La vie est une fête ".

Des messages qui vous donnent de l'air, précieux, ils arrivent précisément, dans un ordre jamais innocent. Cécile ne m'a pas abandonné. Elle me fait rire, un lien vers elle, un lien vers Caroline aussi. Je ne peux me morfondre. Tous me connaissent comme un homme drôle, pétillant et en forme. Personne ne comprend que je puisse être malheureux en raison d'une fille ; que je peux en avoir comme je veux, comme j'écris. Oui, mais une fille que l'on aime, ça, c'est pas facile comme écrire ce putain de journal. Encore qu'écrire la rencontre avec Caroline en connaissant son départ amoureux vers Cyril, c'est hard. Bien plus hard que le vendredi pornographique.
Sauvé, les autres me sauvent. Alexandre Millon, et surtout Valérie, qui m'aime tant, qui vient de lire le journal, qui me rassure, me console, m'exhorte !
Drôle que leurs deux mails se suivent, tous deux se connaissant et s'appréciant ; Alexandre l'avait hébergée lors de ses rencontres littéraires à Mons (je ne suis plus sûr du lieu).

Parfois, en dépit de ces bouffées d'oxygène, je souffre. Ah le bel enfant, il a le genou égratigné ! Oui, je souffre. Oooooooouuuuuuuuu…. Il a bobo. Le pas beau. Un beau de trop !
Je reste assis, sur le blanc du fauteuil. Je pense. Je parle dans ma tête, refais des histoires qui ne seront jamais refaites. Coupez, allez, on recommence ! Scène vendredi 6 juin 2e ! Clap !
J'ai envie d'appeler Caroline, ma main me démange, je suis perdu. Je lutte, et n'appelle pas. Je n'ai pas de nouvelles, sauf par Cécile, elle va bien. Ce qui est dur à entendre, à lire, dans ce cas là.
Je ne sais pas si je dois l'oublier intégralement. Si je dois être d'une force olympienne, héroïque, les héros sont souvent très cons…
Pour le moment, en attendant, je fais l'inventaire Caroline :

- deux galets de la plage de Cap Martin
- une bouteille d'huile d'olive que je vide dans l'énième salade de la semaine
- une cuillère en bois que j'avais achetée car je savais qu'elle cuisinerait
- un petit pot de framboise
- 64 jours de son journal
- des photos sur cet ordinateur

- une tulipe blanche