1. C'est difficile de calquer des modèles sur une personnalité aussi forte que la votre, mais de quels écrivains engagés dans le communisme vous sentez-vous le plus proche, Maïakovski, Aragon ou Roger Vailland ?

Etrangement, d’aucun de ces trois-là, je trouve Maïakovski trop poète avant-gardiste looké, et sa poésie coupée du réel, cul-cul, comme presque toute la poésie contemporaine ; Aragon, que j’ai connu vieux rue de Varenne, trop verbeux, trop pédé mondain ; quant à Roger Vailland, il était trop mauvais écrivain pour comprendre, et pardonner, au tragique Céline... En fait, je me méfie des littérateurs, des apôtres du style comme des artistes engagés, militants. Mes modèles sont plutôt des philosophes actifs : Lénine, Lukacs, des écrivains marxistes à leur insu comme Balzac, Thomas Mann, ou des poètes socialement intelligents comme Tati, Pasolini...

2. Dans "Seul contre tous", Gaspard Noé fait dire au "boucher", son "héros", la phrase suivante : "C'est des types comme Robespierre qui
feraient du bien à la France". J'ai l'impression de vous entendre, qu'en
est-il vraiment ?


Tout a fait d’accord avec lui, surtout quand on connaît la vie et l’œuvre véritables de Robespierre, pas le Robespierre des Michelet et François Furet, le Robespierre de Jean Massin ; l’honnête homme incarné...
Puisqu’on parle de Gaspard Noé, j’ai trouvé son dernier film excellent, fin, moral, formellement ambitieux et j’ai été consterné que la critique passe à ce point à côté du second film réussi de celui qui est pour moi le seul cinéaste français qui mérite d’être connu à l’étranger. Une fois de plus les critiques seront les derniers à avoir “vu“ ; c’est peut-être pour ça qu’aucun enfant ne rêve de “faire“ critique quand il sera grand ; autant rêver de devenir aveugle, sourd et impuissant !

3. Être révolutionnaire, c'est quoi ?


Comme l’a écrit Michel Clouscard, le dernier des grands philosophe marxiste, c’est “travailler à la révolution du mode de production par le mode de production“, soit le contraire du pathos révolutionnaire des étudiants trotskistes promis à la pub ; œuvrer pour le bien public, comme le fit justement Robespierre entre 89 et 94, en se dépêtrant avec le concret, habilement, mais sans jamais renoncer à son projet. En plus de la juste vision et de la volonté, il faut aussi que la conjoncture historique s’y prête, ce petit coup de pouce du destin qui fit les Lénine, Ho Chi Min, Castro... sans oublier Kadhafi... En fait on ne naît pas révolutionnaire, on le devient poussé par son sens moral et les évènements...

4. Qu'avez-vous pensé en apprenant que Beigbeder, qui prône une révolution esthétique et warholienne, s'occupait de la campagne du candidat du PCF aux élections présidentielles ?


Qu’il avait voulu parfaire son personnage de dandy moraliste en se donnant un peu d’épaisseur, ce qui n’est pas honteux ; son choix du PCF était même assez fin pour un bourgeois de Neuilly qui aurait pu commettre la faute de goût de choisir Besançenot, ce poupin démago qui drague les mamas blacks sur les marchés pour tonton Krivine... Le problème ce n’est pas Beigbeder, c’est le PCF, qui a renoncé, depuis la mort de Marchais, à toute vision de classe, qui se prosterne devant tous ses ennemis historiques : gauchistes, féministes, socialistes... en trahissant sa base, et qui s’étonne en plus de perdre ses électeurs !
Quand on voit le respect qu’ont rétrospectivement les historiens de droite pour le mouvement ouvrier (maintenant qu’un tel aveu est sans risque), je crois que le derniers endroits où on méprise les travailleurs, c’est au PCF !

5. Pour reprendre le titre d'un ouvrage d'Hector Obalk (avec qui vous avez écrit "Les mouvements des modes expliqués aux parents" (1984 avec Alexandre Pasche aussi)), "Andy Warhol n'est pas un grand artiste", quelle est votre position sur Warhol et l'art contemporain en général ?

Quand on voit les œuvres de Warhol en vrai, on constate avec gêne qu’elles sont moins bonnes que leurs reproductions photos ; en fait, tout ça ne tient que par la mythologie branchée de la Factory... Si l’artiste se définit par son savoir-faire, alors Obalk a raison : chez Warhol l’œuvre est inexistante.
Si l’artiste est le reflet synthétisé de son temps, alors peut-être que Warhol a sa place... comme artiste emblématique de la société de consommation américaine, puisque le vide de son œuvre est en phase avec le vide du sujet exprimé...
Quant à l’art contemporain c’est une catégorie épuisée qui n’a plus rien à dire et qui ment pour survire, comme Buren ; personne n’y croit plus mais ça continue de tourner pour des raisons sociologico-mondaines : la “physique sociale“ a horreur du vide et elle préfère encore une catégorie vide au vide catégorique...

6. Que pensez-vous de la dérive "spectaculaire" d'Hector Obalk, enragé
critique d'art d'alors ?

Faire de la pédagogie grand public sur un sujet aussi difficile que l’esthétique (la question la plus ardue de la philosophie), et se servir des médias pour ça n’est pas critiquable en soi, c’est même une démarche assez marxiste, comme les cours de philo aux ouvriers de Politzer... Le problème avec Obalk se situe ailleurs, sur le plan théorique... une certaine tendance à la « dialectique casuistique »... faire croire à l’objectivité de démonstrations qui ne sont, au mieux, que la démonstration d’un « point de vue », certes intéressant et plutôt cohérent, mais, in fine, tout aussi subjectif que le goût qui l’avait initiée. Goût par ailleurs plutôt courageux chez Oblak, quand il défend le réalisme contre l’avant-garde...

7. ça fait quoi d'avoir un point commun avec BHL, un ratage cinéphile,
l'adaptation de "sociologie du dragueur"
?

La différence, de taille, c’est que mon film « Confession d’un dragueur » était bon, et que son ratage ne fut que commercial : retiré de l’affiche après une semaine au mois d’août et le lynchage d’une certaine mafia qui officie dans la critique de cinéma. Mais les critiques à gages, si méchants, si malhonnêtes, si introduits soient-ils, ne peuvent rien contre le temps qui finit toujours par rétablir vérité et hiérarchie authentique ; je n’ai donc aucun doute sur la réhabilitation prochaine de mon film, alors que celle du nanar de BHL tiendrait de la métaphysique !
Pour revenir à cette baudruche, je crois que BHL doit souffrir d’être aussi légitimement méprisé, car il n’est pas stupide au point d’ignorer qu’il n’est rien qu’une auto-agence de pub, et qu’il n’y a chez lui ni œuvre, ni pensée, ni style... Moi qui l’ai beaucoup détesté, je dois avouer qu’il finit même par me faire de la peine, un peu comme son collègue Paul-Loup Sulitzer, l’arnaqueur arnaqué !

8. En lisant votre dernier pamphlet, "Jusqu'où va-t-on descendre ?", je
retrouve un ton proche de Desproges, est-ce moi qui hallucine ?

Je ne prends pas cette comparaison pour une insulte absolue, dans la mesure où Desproges incarnait un certain moralisme ironique à la française, avec derrière une vision du monde qui le mettait quand même au-dessus de ses séducteurs sophistes que sont les comiques ; avec le recul, on a plus envie de l’apparenté à Audiard qu’à Coluche. On peut même parier que s’il n’était pas mort, il aurait fini par se mettre à dos cette intelligentsia de gauche qu’incarne si bien le répugnant Bedos, son ex mentor... C’est tragique comme en vieillissant les comiques professionnels ont tendance à se prendre pour des penseurs et à cesser d’être drôle sans rien gagner en intelligence...

9. Râleur né, sur le rap, la techno, le rock, mais qu'est-ce qu'écoute
Alain Soral ?

Toutes les musiques qui contiennent de la qualité, sans aucun à-priori catégorique : Robert Wyatt, Miles Davis, Edith Piaf, Georges Brassens, Jimmy Hendrix, Iggy Pop, Djengo Renhardt, John Lee Hooker, Camaron, Richard Wagner, Lord Kaussity... et c’est vrai, de moins en moins de rock, dont je perçois de plus en plus, en vieillissant, le côté ado poseur inauthentique, surtout comparé au blues... TSF, le programme Hector la nuit sur France musique : alors que je ne lis pratiquement pas de romans, j’écoute plusieurs heures de musique chaque jour. Il me semble que pour celui qui vit dans les mots et les idées, cet au-delà, ce repos du concept que constitue la musique, m’est infiniment plus nécessaire, en tant qu’absolue poésie, que toute la stérile prose narcissique qu’on appelle littérature...

10. Vous n'avez jamais de regrets en pensant que vous auriez pu être une des vedettes de la télé spectacle ?

Sens de la formule, volonté pédagogique, amour du grand public... c’est vrai que je ne suis pas loin d’avoir le profil de l’animateur ! Dans une démocratie authentique ce ne serait d’ailleurs pas une activité déshonorante, mais dans notre société telle qu’elle est, malheureusement pour moi et mon porte-monnaie, je ne suis, sans aucune modestie, ni assez con, ni assez menteur pour avoir le job !

Bibliographie d'Alain Soral


Jusqu'où va-t-on descendre ?
Abécédaire de la bêtise ambiante

Éditions Blanche 2002

La vie d'un vaurien
Éditions Blanche 2001

Vers la féminisation ?
Éditions Blanche 1999

Sociologie du dragueur
Éditions Blanche 1996