Mercredi 2 janvier 2002 :
Il ne faudrait pas voir l’océan ou la montagne lorsque l’on
est gosse. Ce sont des rêves qui disparaissent, qui s’évanouissent
à jamais.
On ne se souvient pas de la première fois que l’on a vu la mer ou
un massif enneigé. On était gosse, la mer, un fleuve, un étang,
même chose, une montagne, un pré, un Carrefour, tout pareil. Pour
les yeux d’un gamin. Il s’en fout le môme de la beauté
du monde. Tant que c’est ludique.
Je regrette de ne pouvoir connaître ce sentiment, que je parviens tout
juste à pouvoir imaginer, de se retrouver devant un océan après
en avoir tant entendu parler. Avoir eu le temps de concevoir l’océan,
d’en rêver sa réalité et puis après des années
de macération le voir enfin.
C’est un crime de tout donner aux enfants. Il ne reste plus rien de magique,
adulte.
Mais la télé aurait de toute façon révélé
les secrets, dévoilé les splendeurs du monde. Mais l’expérience
manifestée serait tout de même possible. La télé
ne donne aucun rêve, seulement une illusion, des ersatz de libération.
Nous sommes désespérément conditionnés. Ici, chez
nous, on ne pense jamais à regarder un lever de soleil, à lever
les yeux vers les corniches des rues parisiennes ou d’ailleurs en fait.
On hante un décor sans perspective, ni nuance. Un tas de croûtes,
une peinture sans profondeur, une fresque sans fin mais aussi sans génie.
Mais cela n’est pas incurable. Il suffit de changer d’endroit, de
pays souvent pour que le regard revienne. Un tour en Italie, et on lève
la tête vers les architraves des colonnes, en Irlande, on se lève
tôt pour assister au lever de soleil sur les falaises assassines de Drogheda.
Le don d’émerveillement a tout aussi été détruit
que le don d’éreintement ; rien ne nous submerge de bonheur ou de
colère. Que ce soit le SDF de République ou la façade de
la Sorbonne, on ne se rend compte de rien. Ni du Beau, ni de l’infâme.
" SDF " trois lettres inqualifiables, soit disant plus digne que "
Clochard ", les exclus de la société disons-nous. Je ne le
trouve pas. Ils errent, immobiles, dans notre champ de vision. Partie intégrante
du panorama, ils ne sont pas exclus juste perdants.
Nous sommes prêts pour une vie virtuelle faite d’images oniriques,
cérébrales, individuelles. Tant le réel nous est devenu
invisible, imperceptible.