Charles Pépin répond à mon message déposé sur son répondeur. Il part en vacances, il est hyper pressé. Il me dit qu'il me fait envoyer son livre, "Les infidèles", le plus rapidement possible. Je n'aurai pas de dédicace, regrette-t-il, mais, moi, ce qui m'intéresse, c'est le livre.
Pour Nicolas Estienne d'Orves, NEO, c'est plus ardu, je dois phoner l'un de ses amis pour avoir son portable. Mais je suis un malin.
Je maile Marc Laudelout pour avoir son mail. Et hop ! La magie d'Internet opère. Il me répond et me donne le mail de Neo. Je maile ensuite Neo et quelques instants plus tard il me répond à son tour et me fait également envoyer son livre. Avant de partir en vacances lui aussi.

En fin de journée, je rejoins Pascal Bories et Laurence Rémila dans un bar près de Jaurès.
Sur le chemin, en longeant la rue du Faubourg Saint-Martin, j'entends une voix dans mon dos, avec un léger accent britannique, Laurence.
Nous faisons la route ensemble, heureusement, j'avais oublié le nom du bar rendez-vous.
Il est sympa Laurence, un peu distant, moins extraverti que beaucoup, apparemment timide avec un petit regard inquisiteur et sûr de son silence, et de sa prise de parole lorsque celle-ci adviendra. C'est un type malin.
Je lui présente le "concept" flou de rage. Il m'écoute, semble moyennement convaincu. C'est vrai que le bordel est assez tentaculaire et dispersé : comme moi.

Pascal nous rejoint avec un peu de retard. Nous avons pas mal discuté, donc, avec Laurence. Il est impassible sur sa chaise. Pascal s'assied, tout minot, bien rasé. C'est bien un clochard propre.
Il est plus enthousiaste que Laurence et me propose de m'envoyer un texte. Ils parlent de plein de types que je ne connais pas. Des pigistes ici, des pigistes là, des pigistes partout. Un petit monde où tout le monde se connaît, s'entraide et se coopte.

On parle d'écrivains, des sorties attendues, des prix envisagés. Je parle de Charles Pépin, très attendu chez Flammarion, de Yann et de son "Podium" de fou, on aimera ou détestera, il risque de se prendre de belles gifles, mais aussi de très douces caresses. Cloclo est-il toujours porteur ? Réponse en septembre. Certains le voient pour le Goncourt.
J'aime bien Philippe Jaenada, son "Cosmonaute" peut tracer son chemin. C'est peut-être enfin le tour de Grasset, Jaenada ou Moix ?

Pour beaucoup (Ardisson, Taddéï ou Beigbeder), la rentrée sera nabienne. C'est le tour de Nabe de goûter aux délices médiatiques, F2, F3, F5, du câble à se pendre.
666 pages de "Alain Zannini", l'apocalypse de la rentrée. J'attends de lire le pavé. Je suis sûr qu'il aura au moins le "Flore".

Parmi nous trois, Laurence est le nabophile absolu ; pour ma part, je ne l'ai jamais lu. J'ai trop peur de m'engloutir dans son exubérance. J'ai peur des gros encriers, Nabe ou Dantec. J'ai besoin de courts livres, de romans, de leçons, de moments de vie. Pas de théories, de dogmes, psalmodiées sur des tonnes de pages.
C'est un peu con. Je ne le suis pas moins.

THTH, l'homme au cuir "approved by himself", téléphone à Pascal et lui propose une soirée dans le squat d'un styliste. Nous devons le rejoindre sous le pont en face, à la station Jaurès.
Laurence n'est pas hyper motivé pour sortir, il a un max de taf, de piges. Il pige dans tous les sens, le petit gars. Et en deux langues.
Laurence doute, je lui dis que le travail est le plus important. Il n'en faut pas plus pour qu'il nous quitte, subrepticement, sans vraiment nous saluer. Il disparaît en sens inverse. Bon courage, vieux.

Le squat est à Place de Clichy. On remonte une grosse artère puis nous prenons un petit chemin pavé, comme dans mon petit village, avant la bitumisation excessive de notre ruralité.
Il y a un tranquille pré vert. Perdu entre des bâtiments décrépis, en désolation. Ruines urbaines.
Nous sommes donc 4, THTH et son ami, Aurore, Pascal et moi. La soirée se déroule dans un patio, une sorte de vieille forge abandonnée, délaissée, vieux murs, vieilles poutrelles de métal rouillé. C'est excellent. Sous l'abri, une table champêtre avec fromage, saucisson, vin rouge et coca, quand même.
Mes amis se restaurent. Il n'y a pas grand monde à notre arrivée ; on a traversé un atelier bordélique, avec des fringues, un vrai fatras tinguelien.

Il y a un étage en mezzanine sous le préau, un type y est installé et passe des disques : du bon, du rock, du funk brownien, que du très, très bon, assonances punk, allitérations pop. Ça change de DJ, les "Mouloud", "Medhi", "Smagghe", ce genre de truc bien relou à la force.

Ici, par contre, c'est ambiance à la maison, des bonnes tronches, des filles souriantes : je rencontre un ami de Sandrine, la "cybersiren". C'est également un maître partouzard et un ami de Patrick Williams, Simon, semble-t-il.
Ça reste très bohême tout de même, très hippies chez les donzelles.

L'apparition. Deux jeunes brunes, belles, ciselées, classes, précieuses détonaient du lot de jolies filles des près. On n'avait pas manqué de les repérer avec Pascal. L'une des deux me faisait penser à la copine chieuse et boudeuse de Pascal, Mélanie, je crois.
Je ne suis pas un dragueur, donc je regarde de loin, détournant le regard pour ne pas être pris en flag'.
Pascal, rédacteur à Technikart, ne joue pas de sa notoriété. Il est très réservé et extrêmement bien élevé. Il se pose souvent la question, est-il de droite ?
Plus (+) tout de même, mais ça n'a vraiment plus aucun sens.

Le jeu devient de plus en plus difficile, dans un si petit espace, c'est délicat d'esquiver des loules. Surtout que je n'ai "rien" d'autre à regarder.
Le jeu se transforme en torture, la sœur visiblement de la petite brunette exquise vient rejoindre le duo initial. Elles pourraient être jumelles. C'est sûrement le cas. Elles sont si semblables. Mais la "nouvelle" avec son sparadrap sur le menton est d'une force incroyable. Un visage parfaitement dessiné, et un regard. Un regard noir, hispanique, ibérique, de torero.
De face, un visage angélique, insoutenable pureté des courbes. Et de profil, un dessin de Goya, un crayonné idéal, au millimètre précis, aux proportions d'or.

Je m'étouffe en moi ; j'étouffe une rage de me jeter contre les pans du mur pour m'ôter son image de mon esprit, indélébilement imprimée. Je discute en lui tournant le dos. J'essaie de l'esquiver, de l'éviter, de l'oublier. Impossible. Horrible. Désespérant.
Il faut que je me barre. Il est presque minuit, je me mets en tête d'aller manger un bon gros kebab graisseux et mayonneux.
J'en parle à Pascal, aux autres. La décision est prise, on se tire. Comment oublier une telle perfection gracile ? Pourquoi ne pas lui dire avant de disparaître ? Pourquoi tant de pusillanimité ?

Le départ est long. Pascal part pisser dans un coin, THTH parle avec des artistes "underground" ; qu'est-ce qui fait l'artiste, son travail ou son côté underground ? Suffit-il d'être pouilleux pour être artiste ? Qu'est-ce que cette histoire d'underground ? Un microcosme, identique à tous les autres, de province, de village, de quartier, de passion, où tous les intéressés se connaissent. De la branlette.
Rodolphe et ses cours de clavier de PC, Pascal et sa thèse sur les termites, Sébastien et ses études sur le Dasein, moi et les autres potes, c'est aussi de l'underground ?
Postillons futiles.
Se positionner, c'est être immobile.

Après une longue attente où Aurore discute avec tous les hominidés édentés présents, nous, Pascal et moi, décidons de nous casser.
J'aime bien ce jeune homme.
J'ai le regard de braise, de feu, des enfers, de belzebuth de biche perdue, d'andalouse lumineuse, de visage de glaise sculpté par Rodin, mirage angélique, indomptable puissance, vu de près, il y a si peu de temps, temps suspendu à ses lèvres fines, drues aussi, charnelles, mutines... fossettes de soie, doux, crémeux, sableux, chaud comme une dune d'un désert parfait, dans la tête. Dans la souffrance de l'être, une amertume suspendue.

Je boufferai donc mon grec comme un con...