Je sors du taf. Il doit être 22 h30. J'appelle Rodolphe. Il est devant sa télé ; il s'est perdu en rentrant à pied, la veille, et n'a pas envie de sortir.
J'appelle Mathias qui m'avait parlé d'une soirée à la Loco. On se donne rendez-vous là-bas pour 23h30. Il est avec deux amies gothiques.
Je préviens Sébastien. Il sort avec Fabien et un autre pote.
Tout seul. Que faire ?
J'irais bien à la soirée "années 80" à la Loco, dancefloorer sur la New Wave de mes 14 ans. Il doit y avoir des filles sympas ; il faut être sympa pour écouter de la New Wave en 2002, non ?
Des névrosées, des frustrées, des paumées, sûrement, et alors ? Qui sommes-nous tous ?

Mais la perspective de devoir rentrer à pied de Place de Clichy, et à quelle heure ? Je bosse, et j'ai la revue dans la tête presque tout le temps. J'attends les livres de copains, Yann, Nicolas et Charles. J'ai des textes à pondre, des gens à contacter et mon taf aussi, il ne faudrait pas que je l'oublie.

Non, je plante Willy, qu'il butine gothiquement tout seul. Je le verrai le lendemain, ou un jour prochain. Je remonte vers République, j'ai envie de revoir la petite serveuse du "Charbon". Depuis que Nassif a déblatéré sur cette usine à hype, je n'arrête pas de m'y retrouver. Pure coïncidence…

J'arrive, cool, serein, être cool, souriant, dynamique, vivant. Les femmes ne sont jamais nécrophiles.
La salle est bondée, je lance des regards panoptiques, je capte la petite. Je suis soulagé. Je n'ai pas gravi Oberkampf pour rien.

M'asseoir, ou trouver un endroit. Une seule table, au milieu, perdue au milieu d'une mare des personnes buvantes, rotantes, pétantes, discourantes, navrantes.
Je suis bien. J'assume ma singularité.
Je prends position. Face à la serveuse. Elle passe, elle me regarde. Je fais celui qui ne semble pas la reconnaître, ne semble pas se rappeler les pitreries de la veille. Je suis une nouvelle fois un con.

Je commande un "Cuba libre", un rhum-coca donc. Je le bois et observe mon environnement. J'invente un nouveau jeu : déceler le niveau d'humanité en matant le visage et ses mimiques. L'intelligence n'est pas mieux partagée que la beauté : les cons sont majoritaires. C'est inscrit sur le visage, regardez bien. Mais ils sont si nombreux, qu'ils ne voient rien, et c'est bien normal.

Je bois mon drink et m'évade dans la ceinture abdominale et charnue de la petite, cercle de gras, de douceur, de peau rose dépassant de son t-shirt trop court, cachant son nombril mais non son anneau délicieux, je la dévorerais.

Je balance 10 euros et me casse. Je voulais boire et la voir : j'ai bu et j'ai vu. Je sens son regard sur moi, je ne veux pas qu'elle me parle de ma monnaie, cette sotte. Je me barre rapidement. Dans la rue.
Des gens heureux existent. C'est bien…