"J'ai reçu une invitation à un concert par "radio Néo", tu m'accompagnes ?"
Ouais pourquoi pas ? C'est un concert de quoi ?
"Un chanteur, "Yan", est mort et ses amis, des musiciens, des groupes organisent un concert en sa mémoire, à l'Européen".
Yan ? Yan et les abeilles !, je ne connais pas, il me parle des autres groupes, enfin, de ceux qui viennent jouer en la mémoire du type raide. "Las Patatas", je connais, je crois que Laurent, un ami, parti depuis à Montpellier, a un peu tambouriné avec ce groupe tendance "Nonnes Tropos".
Je vois d'ici le tableau, des vieux groupes de rock kermesse, des déglingués de la souris, des échevelés enfumés, des vieilles guitares sèches, des tam-tams poucras et des vieilles hippies édentées. Un chouette tableau des horreurs et des délices.
On s'éclate toujours avec un tel casting de militants pour la culture individuelle de cannabis. Il y a toujours un peu de poésie entre une taffe de beu et une gorgée de Kro.
On quitte le boulot ensemble, et on décide de monter vers Clichy à pied. Il fait beau, comme toujours vers 19h, on discute, on taille des costards immettables à certains collègues. Le pied.
On débarque en avance , donc on terrasse, à côté, dans un bar quelconque. On discute d'Amour, de politique, enfin vu que j'ai une "position inutile" d'après mon interlocuteur, la discussion ne tourne pas à la polémique prosélyte. C'est cool. Nous sommes d'ailleurs tous deux dans le domaine de la position inutile, à part que moi, j'y mets de la nonchalance, tandis qu'il reste très straight dans ses propos.
On se décide à embarquer dans le monde du Rock des bars de vieux paumés, de piètres rugbymen, de séducteurs de basses classes, de rmistes pensionnés, d'artistes sans talent, de chiottes sans papier. "Welcome in the Past !"
Comme toujours dans le monde béat des musicos, il y a toujours des gonzesses, et pas que des moches grosses et éthyliques, y a toujours des minettes sans culotte. Des petites blondes à la peau fraîche, aux seins fermes et aux idées absentes. Les musiciens sont les rois des séducteurs, allez comprendre. C'est un mystère organique, un truc primitif. Le musicien, en général sans classe et sans grâce, trouve toujours des groupies. Il gratte et à chaque fois il gagne.
Il surclasse le comédien, de loin. Il écrabouille le barbouilleur et pulvérise l'écrivain. Le poète, lui, n'existe même plus.
Le musicien a une force indépassable, inclassable, monumentale, il ne parle pas. Il joue. Souvent mal, vu le nombre de ces ringards, mais il joue et ne parle pas. Les filles aiment lorsqu'on ne parle pas, lorsqu'on ne s'adresse pas directement à leur état cérébral. Jouer, ça touche la partie naturelle, simple, la danse, le rire, la voix, le cri, l'hystérie.
Les femmes sont des hystériques. Il faut parler à leur ventre, à leur chatte, faut pas viser plus haut.
On monte, à la salle de concert, un amphithéâtre, des sièges rouges, des gens assis, bien calmes.
Je paume mon pote, caché dans l'obscurité du corridor, dans l'ombre de la porte. Je le cherche dans la salle, pas vu. Je m'en retourne dans le hall et le retrouve donc dans un coin de porte, tranquille et marmoréen. Nous décidons de concert d'aller commander une bière. Profitant du changement de groupe. Je me faufile pour commander nos verres en plastique et notre mauvaise bibine. On retrouve sur scène un chanteur minet et mis en plis, un guitariste binoclard et un bassiste collégien à la chemise délicatement froissée. Une équipe parfaite, l'alchimie idéale des groupes des fêtes de lycées, le "beau gosse" chanteur et les musicos "doués". Les types nous chient des Eicherienneries sirupeusement inaudibles, des rifs commençant pour finir en éjaculations précoces, des chansons de casses-couilles, des niaiseries mimétiques aux parodies de feux les Inconnus, qui a copié qui ?
Àprès ces trous du cul de classes terminales, un fou furieux enchante un peu la soirée. Un chanteur déjanté, à la blouse blanche et au phrasée d'antan, à la verve bruyante et énervée, permet au concert de prendre vie. Ouf, je pensais que des néanteux allaient se succéder toute la soirée.
À partir du fou-chanteur, les groupes sont plus péchus, plus animés, plus festifs. Pêle-mêle, un grand gars à la voix sublime, haute et chaude, aux poésies de ses paroles, le chanteur hyperdynamité des Patatas qui embrase le truc en compagnie du devil Tristan-Edern Vaquette ; dont le nom me disait quelque chose, un "copain" de FV, et des gars de "Cancer", je crois.
Là, le truc prend de l'ampleur, les gens sortent de leur plénitude herbétée, et tous se lèvent en criant et en claquant des mains. Nous aussi.
Les types s'enchaînent, dont une fille laide devenue belle l'instant d'une voix jazzy (voilà la magie de la chanson) jusqu'à la venue d'une vieille marionnette de St Marie de la mer, rouge vêtu, un "Monsieur Loyal" des cirques itinérants de notre enfance.
Le "mariage" finit par un bœuf général, tout le monde sur scène, jusqu'à une vieille femme complètement émêchée qui nous invite à découvrir ses petits tétons, son vilain petit corps de vieille canne de fin de comptoir, de suceuse de vieux goulots, de branleuse de barriques vides.

"Il ne manquait rien".