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" Je mène à partir d'aujourd'hui une politique de
rigueur à la créa. ", ce vendredi commence bizarrement.
Lambiance se tend, salourdit, sappesantit, saccable
; cest pas très drôle pour un vendredi, et puis "
rigueur ", ça me fait peur à moi.
Je dois appeler FR, mais jai besoin dêtre en confiance
pour appréhender le téléphone ; le téléphone,
ça me fait peur aussi. Tendu par la situation, je nai pas
le courage de lancer mon appel à ma cristallisation présente.
La journée passe, la pesanteur sapaise. Jai décidé
de rester ce soir donc je me dois de téléphoner à
FR. Je nai pas dalternatives.
16h, lheure du goûter, joublie, me dégonfle,
me cache derrière une heure dattente supplémentaire.
17h, je suis devant un impératif, je me lance. Tout se passe,
ni bien, ni mal, ça se passe, rendez-vous à 20h30 à
la place Odéon.
Je sais plus très bien à quoi elle ressemble, je sais
seulement quelle crée en moi des sentiments joyeux. Dans
ma désespérance, cest un peu de " pétillance
".
Place de lOdéon :
Je tourne, jesquive, je contourne, je détourne, je dévisage,
jobserve, je note, je dénote, je cherche, jattends.
Une petite qui pourrait être
Des touristes québécois
discutent, jaime cet accent. Mais gavé de ces chanteurs
à génocide, je me sens vite mal à les entendre.
Tous ces cons génocidants.
20h40, elle arrive
Fanny.
" Alors pas trop déçu par ta cristallisation ".
Si, un peu, mais je ne dis rien. Ses yeux sont humides de la sensibilité
dune première rencontre ; les miens aussi certainement.
Mais très vite, tout de suite, immédiatement, elle est
splendide. La déception ne fut quun instant disparu, qui
na presque pas existé.
Elle souhaite sinstaller, pour boire un verre, au café
" Les éditeurs ", café dont jignorais
lexistence. Un truc très classe. Elle ny est jamais
allée, " mais avec toi, je veux bien tenter ". Quel
plaisir cette fille !
Mais quest-ce que je fais là ?
Je le sais pertinemment. Je suis venu chercher de la vie, un peu de
souffrance et une motivation à me remettre devant mon écran,
à écrire des romans.
Malheureusement le café snob est " full ". Tant pis,
cest le destin dira la belle. Nous nous reportons sur un café
dà côté. Tranquille, elle se met sur la banquette,
moi en face, en face, un miroir. Lhorreur.
Je suis " bugé ", elle me le fait remarquer. Je ne
dis rien à ce moment.
Quelle déveine davoir ce visage devant soi, je veux ici
parler du mien qui me regarde la regarder !
Je ne pourrai interpréter mon rôle dorateur caustique
et percutant, elle aura le service minimum. Je ne suis pas veinard,
javais la gouache, au fond de mon âme.
Elle nest pas vraiment dune beauté exceptionnelle,
elle nest pas ce que lon nomme une " Beauté
", mais cest ce qui sort delle qui me capte, la couleur
de ses pommettes, ses grands yeux constamment ouverts, ses mèches
dégradées, ses cheveux doux, soyeux. Jai une folle
envie de lui passer la main dans les cheveux ; elle mavoue quelle
me prenait pour un " serial killer " suite à la lecture
de mon aphorisme de Wilde, alors, si je lui passe la main dans les cheveux,
jai bien peur de leffrayer un peu, et puis, un inconnu qui
vous met la main dans les cheveux, il y a bien de quoi avoir la trouille.
Elle me parle de sa vie, de ses projets, de ses expériences,
me pose de questions, répond aux miennes, une discussion tout
à fait normale.
Jobserve son visage, jaime bien sa lèvre supérieure,
très fine, presque effacée, un trait définitif,
je pense au visage de Fouché et à ses lèvres inexistantes.
Ma main imaginaire quitte ses cheveux pour souligner, caresser la ligne
de sa bouche, elle ne cesse de parler, le souffle de ses paroles réchauffe
la paume de ma main qui voyage sur ses lèvres.
Elle est fiancée à un type, je visualise un prénom
Florent, ce nest pas ça, mais il est élève
au cours " Florent " mannonce-t-elle. Un cabot, un comédien,
je hais les acteurs, autant que les musiciens. Je ne veux pas, jamais,
au dieu jamais, la femme dun acteur, même dun apprenti
cabotin. Cabotin, lèvres fines, je repars dans mes délires
conventionnels, lami de Fouché était un ancien cabot,
Billaud-Varenne. Ce cabot était sympathique, il coupait les têtes
à Lyon, Dijon, Nevers. Il finit, lui aussi, sur le billot.
Elle me parle de FB, cest à son émission que je
lai rencontrée, elle est désormais sur le plateau
dune autre émission où FB chronique. Elle na
pas aimé " 99F ", elle naime pas cette vague
de pornographie dans la " littérature ", pour elle,
ce ne sont pas des écrivains.
Ce sont les fils directs de Djian, mais surtout de Rimbaud, de Baudelaire,
de Beckett, de Lorrain. Il y a des mauvais dans cette descendance, Despentes
par exemple, mais FB sen sort plutôt bien, lui le nouvelliste.
Elle porte une chemise suffisamment entre ouverte pour que jy
plonge mon regard. Je minterdis de succomber à la contemplation
facile ; jimagine mon regard y pénétrer, y découvrir
une étoffe soyeuse et noire sur une peau blanche, rose, douce,
suave, un supplice émollient.
Je ne saurai jamais ce que connaît le jeune cabotin ; mais lui
ignora toute son existence, ce que jai ressenti ce soir-là,
ce délice incommensurable. Répète ami, répète
toute ta vie, épouse, embrasse, caresse, enfante, sourit, rit,
crie, chante, mais ce moment-là test interdit, à
jamais, à jamais. Cet instant vaut tout, relie tout, transcende
tout, réalise tout, rien nexiste en dehors, joue lami,
joue.
Elle mappartient, la tiens en ce moment. Lis, écoute, sens,
cher ami, ce que tu ne pourras jamais ni lire, ni entendre, ni sentir,
cela nest pas pour toi, tu as le corps, tu as lécorce
de cet arbre, moi, jai lâme et la vie.
23h30, nous nous quittons.
Quitter est beau, quitter, cest libérer. Je marrête
un instant sur le pont de Notre Dame, cest beau Paris la nuit,
je ne lécrirai jamais assez.
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