Je cours, je cours, je cours tout le temps, partout, dans tous les sens, gÈnÈralement le mauvais, le plus long, le plus tortueux, seul, je cours, je trottine, je ne supporte pas les allures lentes, les pauses prolongÈes, les attentes insupportables. Donc je galope, je lambine rapide. Ce matin, j'ai ÈtÈ jetÈ tÙt du pieu par Seb ; des Portugais ý l'accent lusitanien perpÈtuel grattent la faÁade, et nous rÈveillent dans un fatras de brouhaha maÁonnique. J'enchaÓne les gogues et la douche et les fringues en moins d'un quart d'heure, j'espËre ne pas avoir confondu les Ètapes. Il est 9h et je suis dehors. Cela faisait longtemps que je ne m'Ètais pas retrouvÈ si tÙt balancÈ sur ce trottoir unique qui me conduit inlassablement ý la mÍme adresse. Il fait lÈger soleil dans le ciel, et les minettes brunes s'activent dans les boutiques de fringues soldÈes. Elles sont jolies, aux seins saillants, bronzÈes comme en Italie, comme au Liban, comme partout sauf ici. Je regarde furtivement les vitrines, comme chaque matin, j'assiste au spectacle. C'est devenu un spectacle de regarder les jolies filles ; rien de plus, une jolie vision, un sourire qui naÓt, un rire qui fuse, et ma tÍte se tourne vers le ciel bleu. Les jolies vendeuses me permettent seulement de voir plus souvent le ciel. Je suis dans les temps de mes premiËres balades, de mes premiers parcours, de mes rencontres brËves, mes croisements simples avec la petite blonde aux yeux opales et clairs. Je suis sšr que je vais la croiser. Vers 9h08, sur le boulevard Magenta, juste un peu avant le mÈtro ìJacques Bonsergentì. Je le pressens. Je la vois, je souris. Nous nous croisons, cela ne dure qu'un instant. J'y ai pensÈ durant tout mon trajet, j'ai visualisÈ la scËne une multitude de fois et elle passe comme Áa. Insaisissable sur l'instant. Rien ý capter vraiment. Mais des flashs permanents. Des trucs un peu foireux, des abordages hÈroÔques, des rÈpliques lÈgendaires, des promenades prËs du canal St Martin, des terrasses heureuses et des discussions sans fin. Les beaux rÍves font poursuivre les chemins. Je suis encore en ìOpalandì qu'une silhouette passe devant mes yeux rÈanimÈs. Une chevelure longue et bouclÈe, soyeuse et rougeoyante, je crois, un visage minutieux, fins, dessinÈ ý la pierre noire, de longues amandes aux pierres Èmeraude et de lÈgËres rousseurs sur sa peau h’lÈe. Une pure chimËre. Je ne rÈagis pas plus que Áa. J'ai bien peur d'avoir contractÈ une sorte d'immunisation naturelle aux coups de passions. Je pense avoir ÈpuisÈ mon quota de naissance : Ingrid, petite conne ý grosses cuisses, Olivia, pure crÈature aux seins divins, HÈloÔse, la biche tendre de mes rÍves et Fanny, une jolie candeur mÍlÈe ý une voix grave et sšre. J'ai connu trop de souffrances passionnelles, pauvre biquet va. Une sorte de fatalitÈ m'habite. J'ai plus la force de tomber dans ce traquenard. «a n'a jamais marchÈ, je n'y crois plus. Et je ne m'en porte pas plus mal. J'ai gaffÈ tant et tant avec ces filles qu'il est hors de question de persister dans ce ridicule. Ingrid, j'Ètais lycÈe, et j'Ètais super con, grave con de chez con, un Bernard FrÈdÈric sans les bottines. Je picolais, je sÈchais, je lui emmenais du Galak en latin, je lui Ècrivais des lettres nazes envoyÈes chez elle, je lui filais tout ce qu'elle pouvait dÈsirer, je lui ai mÍme envoyÈ de Snickers par la poste parce que j'avais entendu qu'elle aimait Áa. Nous Ètions amis, that's all. Elle est passÈe ý mes 19 ans, soirÈe mÈmorable o˜ tous les punks, hardos, bÈdaveurs, rugbymen, alcoolos du coin Ètaient rÈunis. Je me souviens d'Ítre allÈ la chercher ý la gare de Tournan, dÈjý bien blindÈ, je l'avais insultÈ de tous les noms durant tout le trajet. Elle n'Ètait pas restÈe longtemps. Ce soir-lý CÈdric avait pÈtÈ un plomb en donnant des coups de boules dans tous les murs, j'en avais tant envie aussi. De me fracasser le cr’ne dans tous les murs de la salle polyvalente de Touquin. J'Ètais dÈjý super con. Tout a commencÈ ý ce moment : la spirale de l'Èchec sentimental. Olivia, j'Ècris, j'accroche, j'assure, premier rencard, elle semble Ítre sÈduite, je panique, je rÈagis comme un con, ne rÈponds pas ý ses appels, Ècris des lettres nulles et stupides, plus de nouvelles. Un corps de dingue, une fille d'une sensibilitÈ agrÈable. Le gros con poursuit son chemin de croix. La passion de StÈphane Million. HÈloÔse, vue, parlÈe, plus vueÖ Jamais, si, une derniËre fois, aperÁue avec son ìDavid Hasselhoffì ý la projection de RÈgis, disparue pour toujours. La fille de la pub ìBilbaì lui ressemble drÙlement. Fanny, idem qu'Olivia, sauf qu'elle a un copain, mais bon, je suis content de passer une soirÈe avec elle, elle lit mon journal, mon rÈcit de notre soirÈe, depuis silence total. La plus conne des quatre, et la moins jolie d'ailleurs.

Je traverse la ville, me mouvant parmi des beautÈs, des beautÈs mortes presque tant le feu du dÈsir est Èteint. Oui, c'est beau. Oui, c'est agrÈable. Oui, Áa me fait sourire. Mais j'ai l'impression d'un Ènorme bof, comme je me rÈpËte. Je suis parti pour rester las le reste de mon existence. Je n'ai mÍme pas la force de me plaindre. Et j'estime aucun malheur ý Ítre dans cette situation d'agnosie sentimentale. Et je suis mÍme assez heureux d'en Ítre dÈbarrassÈ. Je suis un ignoble ringard aigri qui veut se prendre pour un stoÔcien, un vieux philosophe pÈdophile ou pÈdÈraste des Óles des Cyclades, un penseur de Samos, de Lesbos, de CrËteÖ Un connard quoi.

Rien de mÈtaphysique mon cher StÈphane dans ta dÈmarche pathÈtique. Vraiment. Que faire ? Quelle position adoptÈe ? La fuite ? En montant une revue pour passer un peu de temps, pour meubler tes soirÈes de parisien ý la con, et mÍme, tu serais tout aussi con ý Bordeaux ou ý Ch’teauroux ? En Ècrivant des textes jetÈs comme Áa sur un site Internet ? Pour qui, combien sont-ils derriËre des Ècrans ý lire cette litanie pathÈtique ? Je pense les connaÓtre tous. Je pourrais les nommer, les pointer du doigt, les inviter ý manger chez moi. J'ai perdu le contact avec certaines lectrices, Amandine ?, Anne ?, je dÈÁois toujours. Et des lecteurs, Daniel s'est Èvanoui, m'en veut-il pour le texte sur la mËre incestueuse ? Je ne sais pas. Il devait participer ý la revue, et plus rien.

Je voulais arrÍter d'Ècrire ce canevas de vide, de moments de vie, aime-je ý dire, 13 juillet 2001 au 13 juillet 2002, c'est bien. D'un ìPodiumì en manuscrit ý un ìPodiumì en livre, la boucle se rejoint. J'ai Ècrit un mail ý un Èditeur, l'invitant ý venir lire des extraits choisis au hasard. Ce serait bien, du pixel au paperÖ Un juste retour des choses. C'est con ce que je dis, rien ý voir, imbÈcile, le papier n'aurait jamais pu te procurer toutes ses rencontres, ses amitiÈs, ses Èchanges, non, tu Ècris, tu lis, les deux dans des mondes diffÈrents, sans jamais se retrouver. C'est la force de cette boÓte de nÈant, de brume et de bavardages, il y a des espaces de vie, de vie de cafÈ, de quartier, des gens qui sont vraiment lý. C'est le plus grand bistrot du monde, enfin, le plus grand zinc que je connaisse, moi. Un bar qui relie des farfelus rocheliens des USA et un jeune candide de Tokyo, en passant par Toulouse, Metz, la Belgique et MÈnilmontant. Ce soir je vais papoter avec des types, des amis, tous rencontrÈs ici. Est-ce un enfermement ? Ou bien au contraire, une ouverture gÈniale ? Bien difficile de thÈoriser, moi, l'individualiste, le campagnard et ses amis de maternelle, le racinÈ ý Coulommiers, ý ses premiers amis, ý ses amis de lycÈe, qui ne perds jamais le contact des tous Premiers. Je suis certainement le nÈvrosÈ le plus ÈquilibrÈ.