Le petit hobbit est assis devant, frisotté au blé d’or et au regard vicelard d’un détenu de longue durée. J’ai la tête plongée dans le Tech du mois. Je le feuillette. Je me demande bien pourquoi je l’achète toujours. Pour l’institution. Qu’est-ce que c’est con ce que je viens d’écrire, Technikart serait une institution, bâtie sur un socle beigbedo-williamsien… Il n’en reste plus grand-chose.
Ce matin, j’avais tout de même dévoré le papier de la petite Audrey Diwan à propos d’Éric BB. Elle m’est sympathique, à l’intuition, comme ça. Le nom me plaît. Thomas m’en parle, Néo m’en parle, et toujours en bien, et en charme.
Je regarde l’ours, pas de mail pour la joindre. Tant pis. Je me souviens de l’appel de Thomas qui discutant avec elle, lui avouait tout ignorer de la foire de Brives et de sa réaction choquée face à cet aveu. C’était plus rigolo que choquant. Ne rien savoir de ces foires n’est pas une entaille au métier d’écrivain. L’ignorance de Thomas était même plutôt rassurante ; un type qui écrit et qui ne se pose pas la question des endroits à être.
Néo, toujours courtois et intelligent, me raconta sa rencontre avec la petite, à Brives justement. Très plaisante, et agréable après les propos assez infâmes, quoique délicieux en fait, sur Fin de race, écrits par la petite dans le Tech de septembre.
L’attaque physique n’était pas très étincelante, mais Néo est un vrai chevalier. Et un fervent de l’horrible fantastique. Donc le laid l’amuse.

Le petit hobbit me tend son écouteur, en général, il s’extasie sur un best of de Bon Jovi, et là, non, sur une reprise des gars de NRJ, m’apprend-t-il, de à la queue leu leu de Bézu… Je garde quelques secondes, de politesse, et hoche la tête, de réciprocité, et me replonge dans ma alibi technikart.

Il a toujours dans son sac :
Le magazine officiel de Star War,
Le magazine officiel du Seigneur des anneaux,
Et son classeur bleu qui contient :
Des photos de Nathalie Portman,
Le casting intégral de la série Fame.

Lorsqu’il a un coup de blues, il plonge dans ce classeur et se baigne dans le visage angélique de la petite Portman ; les belles femmes ne peuvent être que l’image de la jeune fille.
Il a 23 ans et en paraît quinze. Il a eu une licence d’Histoire, mais ne lit que des Jacq & co.
Il est petit donc, blond, aux petits yeux vicieux, comme un satyre de Pan. Il est gentil, et doit de ce fait être bien malheureux.
Heureusement, il a son classeur bleu.

Je ne suis pas mieux loti que ce petit bonhomme. Je cristallise pitoyablement sur un bras déployé par une inconnue, si proche, je noie de mails absurdes la petite Laine, qui visiblement se fout bien de moi, je me fourvoie à rencontrer des filles inconnues, je fais n’importe quoi. Comme toujours, comme pour Ingrid, comme pour Olivia, comme pour Fanny…
Quand on est con.
Je devrais suivre les préceptes Benier-Bürckeliens… Mais je suis un incurable naïf, et un souffleur de cristal.
Maladroit surtout, sur tout, il se brise à chaque fois. Délicat, je suis, mais dès qu’il faut toucher, prendre, attraper, maintenir, ça glisse, en mille morceaux.

Ce midi, j’ai déjeuné avec Frédéric Grolleau. Il m’a offert et dédicacé à la plume de cristal, et à l’encre de Venise son livre Monnaie de verre.
A la page 25, " Dans leur sabir, les verriers nommaient " sparizione " ou " delitenscenzia ", délitescence, le phénomène par lequel un cristal perd son eau de cristallisation et tombe en poussière "…

Et tout redeviendra poussière. Emporté par les vents chauds du désert : Khamsin, Simoun et Sirocco.
Tourbillonner ou mourir, courir ou mourir, oui. Mais comment et où ? Vers où ? Vers qui ?
Ai-je assez couru ? Ai-je tourbillonné dans le vide ? Dans de mauvaises directions ?
Il semblerait. Toujours seul. Pas maudit car des filles s’arrêtent un instant, vers moi. Mais jamais réciprocité.

Il faut que je me sorte Laine de la tête, c’est une obsession vaine, égoïste, et perturbante. Que j’oublie complètement ces dernières semaines, reprendre ma névrose quotidienne, sans espoir, mais dynamique. Je bougeais bien plus, je courais bien mieux lorsque je n’étais pas arrêté ou ralenti sur telle ou telle. J’avançais en vitesse croisière lorsque mes instants de bonheur se concentraient sur les apparitions de la belle inconnue du bus.
Ne plus penser à Marjolaine. Je ne lui plais pas, c’est indubitable. Et elle semble plus partie pour une relation du gars avec qui l’on déjeune une fois par mois. Je ne mérite pas ça. Ça ne m’intéresse pas d’être un copain parmi.
Détruire avant d’être détruit.

Morose tout ça. Fatigant. Plus de nouvelles de certains gaillards de bordel, pas envie de harceler, pas envie de faire chier. J’attends qu’un sourire se lève, se révèle.
J’avais plus trop de news de Valérie, je m’en inquiétais pas, je sais que son rythme de vie est infernal, mais recevoir l’un de ses messages et un plaisir réjouissant. Ça rassure, c’est bête à dire. Ça réconforte. Ça déparanoïse. Ça rend heureux, un moment.

Un message, très tendre et étrange par son contenu, de la belle Chloé accentue mon hystérie joyeuse du soir ; je swingue dans l’appartement, chante comme ce con de Cruise dans Risky Business, en caleçon glissant sur mon carrelage, posé par moi et le père d’Arnaud.
Elle m’apprend certaines décisions cataclysmiques, pour elle, et très surprenantes, après l’avoir écouté parler lors de nos rares, et délicieuses, rencontres.
Bon, j’avais bien senti que nos conversations, que ma vision de plaisir de lire, loin des dogmes et des scolastiques, avait fait son petit chemin. Mais je doute tout de même que ma petite personne ait été un déclencheur de cette explosion intime. L’idée est là tout de même dans ma tête.