Retour aux Sources, voyage dans le passé. C’est rien de le dire. Cyril passe me chercher chez moi, vers minuit, comme au bon vieux temps de mon amitié avec Fabien, et qu’il arrivait toujours retard. Et que nous allions rejoindre Cédric en beuverie chez lui tout en jouant soit aux fléchettes, soit à Tekken 3.
Je somnole en écoutant la chaîne de la musique classique, allegretto je m’endors. Pas lourds et bruyants dans l’escalier. La porte avait semble-t-il claqué, une voiture venait de se garer, il était minuit presque.
Cyril dégaine sa tête de l’escalier et surgit dans mes rêves et m’en sors en fanfare. Lumières s’allument, je me lève d’un saut pour serrer la poigne de mon pote. On se pose sur la table, je lui demande de m’écrire en une chronique son récit qu’il m’avait raconté la veille. On va voir ce qu’on va voir ! Cyril est poète en dyslexie et en humour d’avant-garde, ou pré-ring’. C’est mieux que tous les DEUG, une parution avec un futur Goncourt et des artistes contemporains reconnus.

Cyril roule joko sur joko, et vide la dernière Blanche ; j’ouvre une bouteille de Blanc d’Alsace que mon père m’avait apporté lors de son dernier passage.
Je drink quelques ballons, je suis nulle part et lui est resté sur " la côte ". Il faut qu’on bouge !
Les heures filent et on va arriver, il ne restera que des lascars ivres. Hugues bigophone, il faut le pécho dans un squat, un truc de tente, Cyril connaît. Ce bon vieux Hugues, on s’apprête à galérer un peu, on attend toujours avec Hugy.

On se lance à l’assaut des départementales ou des communales, ça existe ? Je n’ai pas le permis. On zigzague comme une chaise de designer. On tangue, on rigole, on roule, on traverse des hameaux déserts.
Cyril ne se rappelle jamais la route, comme mémé, il a la mémoire parcellée. Fragments de choix.
On passe les Sources. On cherche l’endroit où prendre Hugues. Il l’appelle et lui demande de l’attendre sur le bord de la route.
Hugues est bien là, avec une fille. Je sens que l’on n’est pas parti. Je reconnais la loule, Blandine, la grande, et non la petite " philosophe ". Hugues nous propose de dire bonjour à ses amis, Ludo et Sylvain. Ça me dit rien.

On traverse un long chemin d’herbe tondue (par Hugues dans la journée), un tracé de plaques de bois marque le parcours. Il nous mène à un endroit fabuleux. Les types ont installé une grande tente circulaire, comme les tentes dans l’erg tunisien, avec un grand feu au milieu. Sur le sol, ils ont répandu du sable. Des hamacs et des couvertures permettent aux personnes d’être à l’aise. Les deux types sont vautrés sur le sol, emmitouflés dans des couvertures épaisses. La fille virevolte aux crépitements des bûches. Elle marche pied nu sur les pierres du foyer. Elle jette des cailloux dans la chevelure drue de Sylvain, paisiblement allongé.
Je suis content de retrouver Hugues, mais je sais que nous ne sommes pas prêts d’aller aux Sources.
Les bédos tournent, les Whiskys s’enchaînent. Je reste autiste devant le feu. J’attends.
Delphine et une amie à elle, belle brunette au visage Sastrien, nous rejoignent. Cyril lance le départ. Hugues nous suit. On s’éclipse. C’était agréable mais je me sens mal, ce n’est plus mon truc. D’ailleurs j’apprends que la belle ibérique se fait aussi Fred. Ce type est magique. Fred, si tu me lis, tu es un mystère pour moi. Un truc de dingue. Quel est ton secret ? La bêtise féminine n’explique pas tout.

Les Sources, le parking, toujours le vieux et sa lampe torche sur le parking. À la porte, Jean-Jacques, le maître du bar, un videur sympa et Lilian, videur ? ou là pour discuter avec JJ ?
Bref, on rentre. Coup de barre sur la nuque, anxiogène, retour au Vietnam, réminiscence de copains morts ici.
Fafa est là, filiforme derrière le bloc de bois où des grosses sont accoudées. Hugues et Cyril lui serrent la main, je me sens hyper mal. J’aperçois Madame Paradis, toujours très attirante. Je n’ose pas la regarder, je ne sais ce qu’elle peut penser. J’ai l’impression que tout le monde me perçoit comme un type malsain, le psychopathe qui fait la Une des boîtes de lait, non, ça ce sont les mioches disparus, donc celui qui trône en photo aux guichets de la Poste.
Quelques pas, les petits hardos de Vaudoy dont j’ignore les noms, ça s’empoigne à la rock’n’roll, Sébastien Parent est de la partie aussi.
On se faufile ensuite dans la masse dansante, gelée de sueur, graisse répandue sur le sol, odeurs de wagon.
Cool, on tombe sur Raymond, tout le monde aime Raymond. Petit crapouillot roots qui rentre à la Gendarmerie, ne boit pas, ne fume pas.
Il me dit qu’il pensait passer me voir avec Xavier le week-end prochain ; on dirait ma grand-mère lorsque quelqu’un appelle et qu’elle dit je pensais justement vous appeler.
Je me marre comme un Farrugia. C’est bon de le revoir, ce petit gars. Il était au lycée quand j’étais pion. Il traînait avec les petits " punks " du moment, les bons videurs de " Milbraü ", la bière à 24 francs les 24 bouteilles : de la pisse de chamelle.
Cyril part en drink, il s’écrase près du comptoir. C’est Céline, sa collègue, qui le sert, et le fait payer. Sympa les copines. J’ai décidé de ne rien boire, pour être un peu en forme le lendemain.
Je navigue en mer humaine, en houle collante, en écumes houblonnières, et débarque dans la grande véranda. J’y découvre Davina, est-ce cela le trésor tant recherché ? Belle petite, mais, tout ça est bien attristant.
Balade dehors avec Raymond, vois Vince, crête nickel, épingle saillante de sa joue. J’aime bien ce punk de parade, buvant un drink à 9 _ dans un bar cosy. Les punks sont des bourgeois excentriques, rien de bien méchant. N’oublions pas que tous les " fondateurs " sont à LA.
Le jardin, le long de l’étang, et de la cascade, est peuplé de jeunes bévaveurs, de jeunes par clans, par sensibilité. Avec Raymond, on retrouve Cyril, Hugues et Fafa assis sur un muret au bord de la rivière, de l’autre côté de l’étang. Ils fument. Cyril déjà bien allumé, nous raconte ses péripéties sur la " côte ", montre son cul à Fafa émerveillé, lui parle de son ben, nous parle des filles et des caisses…
Je retourne à l’intérieur. Je tombe sur Laurent, un chic type que je croise souvent (deux fois l’an) dans les concerts du coin. C’est un gars de Touquin, bien roots, bien cool. Il me parle de pub, de sa propension à définir des concepts, qu’il m’aiderait avec plaisir.
Puis, je tombe sur une mine de pépites Touquinoises, la " Old School ", Lescoule, le fou des Blés d’or, se rappelle-t-il de Sandrine Séjourné ?, de Mikaël, de Kasuba, de Crevette, de Bruno son frère, deux des Delegrange, dix frères qui habitaient près de chez moi et de Jean-Jean, le bô gosse de la bande, tout hype, coupe à la Sinclair, chanteur émérite de Vanilla.
Jean-Jean semble connaître mon site, il me vanne souvent, me charrie sur ma misère sexuelle, dit que je me la pète. Je suis plutôt gêné de me retrouver encore devant quelqu’un qui lit mon journal. Il me traite de " puceau ".C’est vrai que je suis dans l’amnésie de ma dernière expérience, et pourtant je ne suis pas atteint par Elsheimer. Mais bon, il faut que je remonte au siècle dernier. Je suis bien le Highlander de l’abstinence.

Cyril se déchire toujours autant la quiche. Il baratine toutes les meufs ; elles fuient devant lui. Hugues fait un peu la tronche, il doit être chez lui avant 6h30 pour voir sa belle avant qu’elle parte au taf. Et moi, je cogite en pensant que mon week-end est mort dans le domaine du repos et de l’écriture.
Cyril plonge le museau dans les seins d’une poule assise sur un grand tabouret. Son ami réagit avec intelligence, il repousse gentiment la bête lâchée et change de place. Il enchaîne les verres, il va claquer de la thune le flambeur d’Antibes.

La soirée tombe à sa fin, pas une seule bonne meuf, on est arrivé trop tard. Cyril veut boire encore, il harangue JJ et Fafa et Céline et tout le monde, il déambule entre le bar et la scène, la bite presque sortie, il veut qu’on le suce, c’est son chantage pour obtenir les clés de la voiture.
Hugues désespère. Raymond et moi, on se fend la poire.
Un videur, pas sympa, bovin et vicieux (tout le contraire d’un bon videur) déséquilibre la chaise qui retient difficilement le petit Cissou qui baratine le pauvre JJ. Mais bon Cissou tient debout. Le type s’éloigne le sourire aux lèvres, quelle belle façon de faire son boulot ! Chahuter un gars bourré.
Après des efforts dantesques, on arrive à sortir Cyril et à prendre les clés. Cyril est sur le parking, il marche en apesanteur, pisse comme une larve sur une porte de garage, pousse la millième fois de la soirée son cri de Chewbaka, " ouhouh ".
On est prêt à partir, on tient l’engin mais il nous manque Hugues, notre chauffeur, hors de question de laisser conduire le petit troll trapu.
Au bout de longues et difficiles minutes, Hugues apparaît, il était resté à l’intérieur, avec Vince et les autres.

En voiture, Cyril est dans le coffre, il hurle, nous fait rire, dit ce qu’il ne faut pas dire. Hugues maîtrise, les virages sont tout de même bien secs, Cyril est brinquebalé dans tous les sens, il finit " assommé " dans le coffre.
Hugues se pose devant chez lui, on doit attendre que sa copine parte pour le rejoindre et dormir un peu.
Cyril est enfermé, j’ai retiré les clés du contact. Il n’arrête pas de parler. Il veut passer devant, je fais en sorte qu’il se casse la gueule. Raymond repasse en caisse, et nous rejoint à l’intérieur. Une voiture sort de la cour, c’est bon.
Hugues nous prévient par téléphone.

L’appartement est super blanc, propre et grand. Des boîtes transparentes accueillent des mygales. On assiste au repas des belles à six pattes, des criquets ou des bébés souris sortis d’une cage où grouille une ribambelle de rongeurs en folie. Le crapaud buffle gobe trois petits souriceaux. Pendant ce temps Cyril rampe sur le carrelage, crie, chante, parle, bave, pisse (dans les chiottes, nickelement) et reste posé au sol.
On lui installe un pieu. Nous, on discute dans le salon, du bon vieux temps, des projets, du taf, etc…
Vers 10 h, Raymond nous quitte, il a un match de tennis dans l’après-midi. Hugues se couche et je rejoins le ronfleur dans la chambre des souris. Je ne dors pas vraiment.

Je réveille Cyril vers midi, il doit manger chez mémé, 78 ans ! Il se lève puis comate dans le pieu de Hugy, quels beaux pédés ces deux cousins ! Cuisse contre cuisse…

Je me couche dimanche à 13h. La journée est finie.