20.09.2002, il est 00h40.

Je viens de me coucher après avoir maté du catch " WWE ", désormais, sur RTL9.
Les nouveaux méchants ne sont plus des Japonais, mais les traîtres de Canadiens. Et bien, c’est du " Terrance et Philippe " !
Donc, les mauvais sont des Canadiens qui pavoisent avec un drapeau américain renversé, les étoiles en bas.
Patriote, lève-toi ! " Je t’ai donné une étoile, je t’ai donné un numéro, tu dois l’honorer ".
Pour enflammer la fibre étoilée et rayée des veaux amerloques, " ils " ont ressorti les vieilles icônes des années Reagan. Yeah.
" Hulk Hogan " is back, et oui. " Ric Flair " aussi. OUH ! Et surtout le très vieux et ventripotent " Sergeant Slaughter ". Un vieux sergent instructeur de Marine’s, à la " Hartmann " de FMJ.

Il est 00h40, vendredi 20 septembre. Demain matin, tout à l’heure, je dois me lever tôt, à 6h45, prendre le bus à 8h25, le RER à 9h06, et être à Paris ensuite. Je dois voir Valérie à 11h, chez elle. Je dois lire. Lire un an et demi d’amitié. Un long labeur, sueur, torpeur, bonheur.

Nous sommes le 20 septembre, nous sommes le 20 septembre. Je pense à Sophie, mon amie, quand même, tout de même, même. À sa tristesse du moment, à son papa. Je me relève et pianote dans le noir de la cuisine, où mon portable se recharge, un message : " BON ANNIVERSAIRE SOPHIE ". Elle a 27 ans.

Matin, télé. Télématin. Je prends mes tickets restaurants, ma carte bleue, ma carte orange, " Maniac " à lire et un mon vieux carnet noir, pour les notes. Où est-il ?
Oui, sous une pile de feuilles poussiéreuses. Des pages d’Héloïse. Des dialogues et des scènes de baise, surtout des fellations. " French Kiss " titre une revue américaine avec la photo d’Amélie, vu dans le portrait de Jean-Pierre Jeunet qui passe sur C+, bleu, blanc, rouge.

Je l’ouvre. Pour voir. Comme ça. " Aguera Éloïse " écrit de sa main, au bic bleu. Premier mot que je lis. J’avais oublié ce trait. J’avais oublié, un jour, avoir connu son nom. Je le cherchais dans mon crâne, aucun souvenir. Alors qu’il était là dans mon carnet CANSON.

La journée commence bien. Je pense à elle. À sa grande bouche. Au miel de ses yeux. Au fiel de mes rêves.

Bus avec une jeune maman de Touquin. Nous parlons des enfants, de ses petits choux ; de Disney et de l’émerveillement et le calme des gosses, alors qu’ils poireautent deux heures pour un tour à trois minutes. Magie. Une soupe en trois minute ?

Halles, FNAC, je suis venu chercher le dernier, le nouveau Luis de Miranda. Denoël, je crois. Rien. À Vide. Que dalle.
Je tourne, j’observe. Podium est là, mais pas tant que ça. Roth, Nothomb, Fargues, triumvirat de la FNAC d’ici, et d’ailleurs.
Je tombe sur un bandeau rouge, une citation de Zappa, le premier livre de David Foenkinos, " Inversion de l’idiotie, De l’influence de deux Polonais ". Je le prends.
Je le paie. Je souris à la caissière moche ; je prends des caissières moches à Paris. Par générosité. Humanité.

" Mais c’est complètement idiot
Oui, on sait bien ! Mais c’est génial, non ? "

Le petit livre orange de Soral est bien exhibé, à côté, " La bible dévoilée " d’Israël Finkelstein. Très très drôle.

10h30, je suis à deux pas de l’appartement de Valérie. Je suis assis, le cul dur sur une barrière. En face, un café. Mais je n’aime pas le café. Que prendre d’autre à 10h30 ?
Je lis. Avec une merde de chien à mes pieds. Je ne la regarde pas. Je sais bien qu’elle est là. Piégée dans cet enclos bizarre. Un arbre au milieu d’un bitume gravier. Hum.

11h. J’ai bien gravi les marches, et auparavant, bien tapé la cloche. Et oui, j’apprends vite.
On parle vite, vite, vite. La musique est forte, forte, forte. Est bonne, bonne, bonne, me souffle mon ami Jean-Jacques.
Quark. J’ai un classeur dans les mains, et des feuilles dedans.
J’ai décidé d’aller lire au " Deux Moulins ", le café d’Amélie, rue Lepic, métro Blanche. Je n’y suis jamais allé. L’occasion paraît idéale.

J’y déjeune d’ailleurs. Salade auvergnate et Carlsberg. La première. Je demande au serveur si la salade est une entrée ou un plat ? Un plat.
Mais bon, c’est léger. Je commande une escalope à la crème, avec des frites, c’est possible ? Oui. J’hérite de tagliatelles. C’est bon.

Encastré dans un coin, derrière la tour des pâtisseries, je suis bien peinard. Pour lire. Et écouter. Près de moi, une vieille carne se plaint, geint, répand sa vieillesse immonde. J’ai mal là, ici, aussi. Une petite cuillère pour la patate, un peu de beurre, c’est un peu sec.
Crève salope. Mental urbain. Dégénérescence putride. Une jeune serveuse boutonneuse à gros nichons écoute la vioque. AH. OH. BEN.

Je lis. Je mouchette de pattes illisibles. Censure de mes impressions. C’est un journal intime, oui, mais un peu sur le Net, aussi. Et j’ai un lecteur. Au moins. Je te vois Seb, euh Régis, c’est toi Pascal ?
Et les autres, vous êtes qui ?

14h30. Philippe se pointe. Crâne rasé et yeux bleus. Calme et posé. Serein et précis. Un ami doit le rejoindre. Plus bavard. Parle comme dans les livres de Derrida. C’est un " ismophile ". Il faut bien se concentrer sur sa bouche, et écouter, et réfléchir, et comprendre, et dire " moui ". L’air intelligent. C’est pas évident.

Il y a des idées, des textes, de " ismes " aussi, post ou ante, peu importe, à ce niveau. De la poésie, également, c’est agréable. J’attends de lire tout ça. Je vais piquer le dico de philo de mon petit Sébastien. Olivet, celui-ci.

16h30. Je reprends ma lecture. C’est le tour de Raymond et Cyril de se pointer sur les deux chaises qui me font face. Je suis une sorte de maître qui reçoit ses fidèles en entretien. Un peu comme le Dalaï Lama. Avec un peu plus d’intelligence, que ce branque à branques.

18h. Je passe à l’agence pour le pot de Matthieu, sosie freelance, pour reprendre un vocabulaire moixien, de Jessie Garon.
Et prendre des places pour Panik.

19h. Je finis ma lecture et cours chez Valérie. Descends du métro, me fais bousculer, les feuilles abattues au sol. Me goure de station, marche en haletant. J’arrive.

19h40. On en parle. Tout le monde en parlera. Je rencontre aussi deux petits bout de choux : un petit bavard, aux yeux tout grand ouverts, et tout plein de soleil, et une petite mignonne toute douce, sage.
Bien belle journée. Les petiots, c’est bien là la clé du bonheur. La clé, le bonheur tout simplement.

20h20. Je rejoins les gus au " Vivarium ". Après que Cyril m’ait indiqué la route. Donc, je me perds un peu. Monsieur avait confondu " Abbesses " et " Anvers ". ça se ressemble, non ?

Drame, une heure et demie à chercher à la voiture de Cyril. Les deux brigands n’ont pas une mémoire bien précise ; ils viennent de boire de l’absinthe, mauvaise excuse.
Euh, c’est près d’un Monoprix. C’est par là ! On tourne, on marche. Pour eux, Pigalle, c’est de Barbès à Clichy. C’est près d’une rue qui monte, euh, oui, dans un virage, je crois, pas très loin du boulevard.
C’est pas gagné. T’es sûr que c’est près du Monoprix. Peut-être bien un Franprix, je ne sais pas. OK.
On la retrouve, dans l’autre sens, près d’un Champion. CHAMPIONS les gars !
Devant la Cigale, c’est vrai, c’est pas facile à retenir une façade toute blanche avec un drapeau rouge géant.

On croque à Mac Do. On parle de meufs. On parle toujours de ce que l’on connaît le moins. Et on en parle mal. On n’y connaît rien. Cyril pense toujours qu’il est le catalyseur du truc, qu’il peut faire souffrir, ne plus avoir envie, en patati et patata. Comme si c’était lui exclusivement qui fixait l’état de passion. La fille, aussi, elle peut se réveiller avec l’impression que le petit farfadet n’est pas si terrible que ça.
C’est un peu le défaut de Cyril, penser qu’il est seul dans une relation à deux, " vous n’avez pas le monopole du romantisme ou de la folie passionnelle, monsieur ! "

Énorme PANIK, du monde et des gens, plein. Des nichons et des culs à alimenter des rêves pour des nuits blanches. Je découpe des morceaux à tout va, Hannibal, je coupe en série.
Régis est bien là, Matthias aussi. Sur la piste. Tout près d’Anso, et ses amis. Régis s’éclate, et ça m’éclate.
Éclatement de gin fizz en série :
Je prends un verre à RC, on me l’écrase sur la chemise. Je dois boire cul sec ma bière et mettre son verre dans mon verre.
Puis, il renverse un autre.
Puis, un dernier, qui finit sur les pieds de Juliette. " La " Juliette de Pascal. J’écris à Pascal à propose de sa belle :

" Oui, très futée, du répondant, du caractère, seule hier soir. Passée comme ça.
Charmante, mais vénéneuse. Mieux l'avoir comme amie, que de son lit. "

Je discute un peu avec Éric ; je l’aime bien ce type. D’ailleurs Cyril aussi, qui l’apostrophe sur sa moto. Une 125. Ah.
Il revient peu après pour lui demander sa marque. Il ne voulait pas laisser croire qu’il le snobait parce qu’il a une 125. Il est trop bon, Cyril.

Avant de partir, vers 3h30, je rencontre un ami de Yann, que je vois partout, qui ne me reconnaît jamais. Je l’alpague.

- Bonsoir, je suis un ami de Yann.
- …
- Yann Moix. On s’est vus plusieurs fois. Mais tu ne me remets jamais. Euh, au Bus par exemple. Stéphane.
- Stéphane.
- Oui, Stéphane.
- Stéphane ?
- Oui ?
- Mon prénom est Stéphane.
- Moi aussi.

Bref, le type est un vieux pote de Yann. Sympa sous ses abords de teckel teigneux. Il bosse aux Inrocks ; je ne savais pas que Yann avait des potes aux Inrocks.
Il me parle du traitement affreux que Yann a subi. Je ne lis pas ce zine. Je n’aime pas " instinctivement " les Inrocks. C’est organique.

On se casse. Régis repart dans la foule suintante. Matthias est aussi dans la nasse à nichons.
On reprend la route car Cyril a pensé à dire à Raymond de ne pas se garer sur la place de Faremoutiers en raison du marché du lendemain, dès 5h, seulement au niveau de Pigalle. Bien tard.
Ça, c’est du Cyril.