On marche dans une grande rue éclairée, animée, achalandée. On, c’est Sébastien et moi. On marche dans la rue Cler. À la recherche du " café du marché ". Seb a son sourire figé, moi, le cœur. Je perds tous mes moyens à l’idée de voir Diane. Ce qui est un peu gênant ; je me sens si à l’aise, voire drôle et spirituel, avec Juliette, par exemple. Comme avec cette jeune fille rousse et jolie rencontrée au théâtre ensuite. Comme une fatalité du " tu seras con avec celles qui te touchent ". Un sortilège du célibat, et du cœur brisé.
Lamentations inutiles… Diane aime les hommes, un peu machos, je me souviens de ses propos lors du dîner chez elle. Je me sens si peu homme. Un meneur, quand je me sens bien, loin des pressions des sentiments, mais pas vraiment un homme de décision dans ce domaine précisément. Devenu trop contemplatif, même dans les " je " de l’amour. Je n’aime pas dire " je " avec Diane, je déteste cette scénographie du type qui se prend pour un écrivain ; alors qu’écrire ce qui se passe dans sa tête n’est qu’une question de temps. De prendre le temps de.
Mais je ne sais pas quoi dire, j’ai une Diane dans la gorge.

Nous avons trouvé le café, après des méandres rigolos. Nous sommes avec Diane. Diane était seule, belle, et lisait Libé. Nous, je me sens idiot d’être venu avec Sébastien. Il doit ressentir le même sentiment. De là, la machine pensante s’accélère en turbines hystériques. J’avais cru deviner lors de mes appels précédents qu’elle était avec des copines. La présence de Sébastien se justifiait. Et davantage…

Sébastien m’ayant proposé de coucher chez lui pour me permettre de faire ce que je devais faire (revuebordel.com, agencement de textes), il m’avait également proposé de l’accompagner à une pièce de théâtre. Où ? Près de l’école militaire. Ah !
Arrivé aux Halles, j’appelais Juliette, Macha à la suave boiserie, pour savoir si l’on se retrouvait ou pas. Elle m’expédie et me file le numéro de Diane à retenir. Mémoire excellente. Ma seule force.

Je me sens pas de force de l’appeler. Pourquoi Juliette ne l’appelle pas ? Me demander à moi, le froussard du bigophone !
Je passe à l’agence relever mes mails. Un doux message de Diane. Son ton enjoué me donne le courage de composer les dix chiffres, comme autant de commandements. Elle est justement, fatalement, à l’école militaire.

Petit poucet du Destin, je ne peux ne pas y voir un signe. Deux fois, alors que c’est une zone grise de ma géographie parisienne, ce lieu me revient en écho.
Aussitôt, je me remets à la marche. Je prends au passage Sébastien, avec ses copines, cela fera une parité. Quelle notion odieuse.

Je suis plutôt en forme, ai respiré l’air de la forêt de Malvoisine, en pédalant dans l’après-midi avant d’enchaîner avec un tennis improvisé avec des jeunes garçons de Touquin ; putain, ils ont déjà 18 ans, et dire que je les ai connus tous minots.
Je charrie, je n’arrive pas à fermer ma bouche, une vanne à chaque point, perdu ou gagné. Il faut s’amuser, non ?
Une maman attend le terrain avec son fils, tout au plus 9 ans. Elle lui explique qu’il ne faut pas parler, ni remettre deux balles, ni renvoyer une balle faute de peu, que Stéphane fait cela car Stéphane est gentil avec les petits. Biens sûr que je suis gentil avec les petits, je suis toujours gentil, même avec les grands.
J’imagine le petit gosse avec son sceau de balle à renvoyer, une fois en coup droit, une fois en revers, allez, une nouvelle série, tes jambes, oui, c’est ça, en pas chassés, encore un effort, plus qu’une série de vingt…
Caca Boudin !

Diane est sublime, j’en suis d’autant plus minable. Où est ma voix ? Mon humour ? Ma répartie ? Je ne sais pas quoi dire, je lance un sujet sur Sébastien, NY, Ground Zéro… je ne suis pas bien courageux. Mais c’est moins pathétique que mon discours sur ce journal. Discours qui s’apesantera après, nul kamikaze pour venir démolir mes " Twins hemispheres ". En tout cas, je ne suis pas loin du Grand Zéro.

Je lui propose de nous accompagner au théâtre. Moi-même, j’y accompagne Sébastien. Mais non, elle doit voir sa sœur. Après ? Non, je suis sortie hier soir, pas envie ce soir. Je te comprends.

Sébastien engloutit par baguettes habiles du porc au riz, nous l’assistons, du regard. Je ferais bien un petit dimanche à la campagne, loin de la ville.
À Rambouillet, je réponds. Là. Encore. Pas doué. Mais Touquin a la beauté que ressent un fils pour sa mère, même laide. Touquin me plaît parce que j’y suis enraciné. Je me sens pas de force, une nouvelle fois, de lui proposer la balade, ballade, briarde.

Bêtise, je ne fais que des bêtises, quand tu es là.

Elle part. Je poursuis les mains dans les poches. Au théâtre ce soir, une troupe d’improvisation. Tous les pays : Anglais, Américains, Danois, Allemands, Hollandais, Roumains, Italiens, Indiens… Français.
Je fais la connaissance de la charmante, très jolie, Nischa, qui bosse dans l’édition. Le contact est fluide, nous nous échangeons nos coordonnées. Je lui précise que je ne suis pas souvent physiquement à Paris, mais me propose de nous voir dès que j’en ai la possibilité. C’est charmant. Terme approprié.

Nous rentrons, mon téléphone n’a presque plus de batterie, et je n’ai pas le chargeur. Je le laisse tout de même allumé en espérant un appel de…
Personne. On se couche, on discute, on bavarde, on fait des plans. Sur quelle comète ? Je me sens " freeze ", entre chaque impro, " ils " disaient " freeze ", et les comédiens s’immobilisaient. Cette nuit-là, je rêverais de Diane en images freeze. Comme ces photos que l’on voyait tout petit dans cet appareil rouge que l’on mettait devant les yeux, et de l’index, on enclenchait la suivante. Clic…