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Je passe à lappartement, il doit être 23h. Sébastien
est là, il travaille. Il fait lourd en ce moment, lair
est chaud, suffocant, les fenêtres ne sont pas ouvertes toute
la journée, des Kurdes refont le ravalement. Donc on ouvre seulement
lorsque nous sommes là, mais la grande bâche obstrue aussi
le passage de lair. On respire mal, mieux vaut faire un petit
tour, boire dans un café, draguer en ce qui concerne Seb.
Avec Régis, je monte vers Belleville, la rue du faubourg du temple.
Avec Seb, cest le centre, le Marais, tout près dici,
la rue Vieille du temple. Les bars se succèdent, ici les gens
sont beaux, pas autant quen RG, mais presque, sont tristes aussi.
Des bourgeois, des friqués, des étudiants globe-trotters,
des lecteurs de Derrida, et de Walter Benjamin
Ils méprisent
les pauvres qui nont jamais lu Jean-Luc Nancy et qui ignorent
tout de la dernière expo au Grand Palais ou de linstallation
de Buren à Beaubourg. Ils parlent anglais, allemand, ou espagnol,
mais tous ont le même esprit étriqué : cercle vide,
noyau unique : eux.
Je suis mal à laise. Je nai rien à faire ici
: jai fait la fac, des études classiques, un DEA, ma mère
torche le cul de gosses et mon père est fonctionnaire, je nai
pas lu Derrida, en fait si peu, et jemmerde Buren, Ben, Boulez,
Bourdieu
Mais avec Sébastien, ça va, lui cest un punk, dans
le fond des entrailles, même sil a été salsaïé,
comme tant de punk. Il est souriant lui. Les autres tirent la gueule
assis sur leur petit pouf design, en sirotant un mojito. Je chie aussi
sur les mojitos, et sur leur fuck of Favela Chic : trous de balle !
On est assis dans un bar à étages, comme en RG. Un tableau
au mur, un Basquiat ? Un vrai ou un faux. Des gens passent : la belle
Israélienne, belle et toujours son visage fermé : elle
ne louvre quauprès de Fabien, ai-je remarqué,
la première fois chez Seb, puis le lendemain chez Matthieu, un
chic type qui fait du théâtre. Dailleurs lunique
échange de mots que nous allons avoir concernera Fabien, et son
visage sensoleillera un peu, un court instant. Je sens quelle
ne peut pas me voir : tu comptes rester longtemps chez Sébastien
? ; tu cherches quelque chose pour septembre ?
Ok, jai
compris, je ne suis pas le bienvenu dans la clique
Personne ne
me parle. Matthieu nous rejoint, sassied entre la fille et moi.
Je me sens inutile ici, parmi eux, parmi ces types qui vont de New York
à Madrid, comme je vais dOberkampf au canal St Martin
Je ne veux pas me fatiguer en me couchant tard en poireautant tout seul
dans mon coin, avec le dos de Matthieu comme seul horizon.
Je me lève, salue Matthieu (qui mappelait François,
comme le grand blond sympa de lavant-veille ?), je fais un signe
aux deux petites juives. Je ne veux pas leur faire la bise, ce serait
lavoir encore plus profond jusquà la rate. Je nai
rien contre vous, surtout à toi, ma belle, mais je sens bien
que je ne suis pas de votre monde.
Ça me fait chier pour Seb. Mais jai la tête trop
pleine de projets, plus dénergie pour faire semblant, ou
ravaler ma fierté.
Le bon côté, jai rencontré ma Colette Jéramec
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