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Radio
dans ma tête crie fort, un film en continue, comme si jétais
mort, comme si jallais mourir. Cela brame dans ma tête,
plus quun cri de la forêt.
Jai les poumons propres à la naphtaline et au cedar. Plus
rien ne traîne au sol, jai jeté des tas et des tas
de paperasses, de coupures de journaux, de sorties papiers de textes.
Jai tout dépoussiéré.
Jai vidé les armoires, astiqué aux bois de Santal,
replié correctement et trié, après avoir pris soin
de disposer aux endroits stratégiques, dans les coins, les petites
billes blanches de naphtaline.
Lodeur est forte et attrape la gorge comme des fragrances de javel.
Ma chambre est totalement aseptisée, rangée, ordonnée,
plus rien au sol. Seulement dictionnaires, de mythologies, de citations,
de synonymes. Un livre, " Aurélia ", celui même
que lisait Marjolaine. Elle est plus dure à enlever que la poussière,
poussière qui dormait paisiblement sur mon bureau, sous mon ordinateur,
sur les rebords de larmoire Ikéa, sur les enceintes, sur
les cds posés au sol.
Je respire naphtaline depuis des heures, jai siesté en
écoutant tous mes mp3 de " Radiohead " ; ma mère
est bien venue me voir en début daprès-midi.
Elle se casse de plus en plus, je navais rien vu. Je ne la vois
presque jamais. Pourtant, sortez de chez moi, faites vingt mètres
à droite, à lépicerie, à gauche, cinquante
mètre, au dix-huit, première porte à gauche, vous
y êtes.
Elle mapprend quelle était arrêtée,
la douleur au dos étant montée jusquaux cervicales.
Je débarque une semaine après, sa machine à laver
ne marche plus, elle na certainement pas osé me déranger.
Je suis un fils qui fait peur. Bourru dès quil est dans
sa tanière. Ne sortant que pour des choses extrêmement
précises, lorsquun ami vient le motiver à sennuyer
plus loin, à quelques minutes de voiture. Lui na pas de
voiture, pas de permis, pour quoi faire, existe-t-il un lieu où
être heureux ?
Elle me rapporte un livre, en piteux état, elle me dit quelle
en a pris soin, heureusement. On na pas la même notion de
lhygiène et de lordre. Elle se nettoiera la chatte
à chaque fois quelle pissera, alors que je ne me laverai
pas toujours les mains après avoir uriné, mais je ne pourrais
tolérer quune langue râpeuse lèche une assiette
" humaine " alors quelle vit avec un quintette miaulant.
Elle ramène la voiture dun beau-frère, elle sinterroge
si sa carte de retrait marchera. Elle na pas fonctionné
chez un Indou à qui elle a acheté un pull, un petit haut
pour le réveillon à manches courtes quelle ramènera
car elle se sent mal à laise avec les bras découverts.
Elle se demande si le fakir na pas rusé pour obtenir du
liquide. Malin les intouchables.
Elle a aussi offert un cadeau de noël au maire, elle est employée
communale. Elle rit, elle na jamais rien reçu de la mairie
en plus de vingt ans. Cest pour le faire comprendre. Elle ne prend
pas de mes chocolats, que jai dailleurs pris chez mes grands-parents
qui ont reçu deux grosses boîtes de crottes, du vin, deux
poulets etc par la commune en remerciements de rester en vie très
vieux.
Cest la dignité humaine, plus rien de la " dignitas
" du supra-humain, juste continuer à respirer et à
manger. Un pauvre fait la queue à la télé, je le
vois, pour avoir son colis de noël, il aura droit à trois
saucisses de sortes différentes, il est heureux car il perdrait
sa " dignité " sans ces trois saucisses de sortes différentes.
Avoir des saucisses diversifiées et respirer longtemps permettent
à lhomme dêtre " respecté "
et " digne ".
Moi, je mange des cacahuètes " Belle France de chez Cibon
" qui ne finiront pas dans le ventre ogre de mon grand-père,
le " gros ". Ni sous son fauteuil où dorment ses chaussettes
de vieux pieds dignes, car vieux.
Je promets à ma mère de passer chez elle pour réparer
sa machine à laver. Je lui dis quelle aurait pu me le dire
plutôt, elle ny a pas pensé. Penser nest pas
dans ses habitudes. Respirer est déjà une tâche
de longue haleine. Quelle sefforce de répéter
chaque jour, pour avoir une boîte de chocolat, un poulet, une
bouteille de vin, des conserves, le moment venu.
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