Un morceau frugal de pâté, de canard. Un trognon de pain. Un couteau, posé sur le rebord de l’assiette.
Je ne suis pas festin, soir de noël. C’est d’ailleurs une fête qui me déprime, ou plus véritablement m’ennuie. Je n’ai pas de gosses. Et je ne vois pas l’intérêt de la fêter, avec une famille éclatée, et que l’on n’a pas toujours choisi.
Je tartine mes petits morceaux de pain découpés par mes soins, et regarde la fin du " Nom de la rose " ; si je me faisais moine, frère, curé ?
Mes parents me disaient que petit avant de vouloir être archéologue, je voulais être curé ! Je ne suis même pas baptisé.
Lorsque je passais mes noëls à Florence, j’aimais bien assister à la messe de minuit, sauf quand je m’écroulais la bite pisseuse à la main sur le " ponte della Carraïa "…

Je suis passé voir mes grands-parents, par souci d’être gentil. Peut-être sont-ils " malheureux ", abandonnés par leur petit-fils voisin ?
Que nenni ! Ils ont englouti un plat énorme de fruits de mer. Ils ne savent faire que ça : engloutir. Se goinfrer de bouffes et de médicaments. De pilules, de gâteaux, de sirops, tout le temps. Ils ne pensent qu’à ça : manger.
Ils me débectent. Je prends mon morceaux de pâté, et les laisse à leurs ripailles. Ma grand-mère m’appelle à prendre des petits-fours salés, des petites saucisses, des crevettes, des machins… C’est leur gloutonnerie qui me coupe ma faim, et mon humanisme, fin, vernis léger sur ma misanthropie grandissante.
Gros, gras, adipeux, sales, puants, bêtes et méchants, voilà ce qu’est un vieux. L’une se lève à 5h30 pour mater des dessins animés, bon petit-déjeuner avec toutes les pilules qu’il faut, feuilletons des amours, gloires et beautés, " c’est comme ça dans la vie ! " dit-elle avec son regard de celle qui a forcément raison, vieille et arthriteuse, elle sait…
L’autre confond la maison avec sa bauge, tout traîne partout… Il bouffe. Il grogne. Il aboie sur tout ce qui passe dans sa seule fenêtre : TF1.
Ils ne regardent " Questions pour un champion " que pour mieux se moquer des gens, savoir d’où ils viennent, dire " ah je connais ce bled, j’y ai livré… ", se gausser quand le gagnant de la veille se fait éliminer, et qu’il perd ses 500 euros.
Ils ne comprennent pas qu’il existe des jeux où le gain n’est qu’un alibi. Ils zappent la pub, ils n’aiment pas ça, et se précipitent sur le " Bigdil ", ils se marrent, se moquent, crient, s’énervent, ces bêtes. Ils charrient la France d’aujourd’hui, la décadence. Ils ne comprennent pas que cette merde, ce sont eux qui l’ont chiée.
Que ces vieux patriotes et chrétiens sont les premiers tombés dans l’idiotie de la société du spectacle, du consumérisme et de la médiocrité morale. Ils n’aiment pas la pub, et ne loupaient pas un seul " Juste prix ".
Pauvre France, dit constamment mon grand-père, dyslexique et buté. Oui, pauvre France, pépé.

Je me plonge dans la lecture d’un texte reçu, d’un Niçois, " Journal d’un pas grand-chose ". La dernière fois, je recevais le journal d’un mégalo, je me sens bien plus à l’aise avec cette approche, cette écriture " classique ", même s’il cite à souhait le Nouveau Roman, et ses questions sur l’écriture.
J’enchaîne sur un portrait de Pétrus Borel par Baudelaire, et j’ai bien l’intention de lire " mon cœur mis à nu ", ensuite.
J’avoue que je ne me pose jamais la question de pourquoi et du comment écrire. Je trouve cette question bien trop prétentieuse, c’est une question d’état d’âme avant tout.

Je suis fatigué, ou j’ai envie de l’être. Pour ne plus penser à cette pression de réveillon : de manger, d’être heureux, de consommer.
Je n’ai pas faim, ne suis pas heureux et je vais me coucher. Demain sera mieux. Je verrai ma grand-mère comme une bonne vieille qui se met en quatre pour trouver quelque chose à manger, que j’aime, et mon grand-père comme un brave gros toujours prêt à m’emmener où je le désire. Leurs vices disparaîtraient un peu derrière le respect de l’hospitalité.

Dans mon pieu, j’essaie de ne pas trop penser. J’ai laissé la télé allumée, l’ordi aussi. Je m’endors rapidement, en pensant à des perles de bonheur, à deux étoiles, et à leur jolie maman.