La vie, c'est la gambade. La vie, c'est une promenade pour reprendre Jauffret et son si beau conditionnel. La vie, c'est une balade pour se relier à Péguy.
Péguy, drôle de lascar, d'écribouilleur frénétique. Yann le vénère, parce qu'il y a du Péguy en Moix. Et Yann aime bien Moix. Écrire des pages, écrire à l'absolu. Écrire et faire que ça ; écrire comme un fou, un dératé. Comme un génie.
Alors oui à Proust, à Joyce et à Péguy. Et vive Moix, gloire à Moix !

La vie, c'est la marche, à l'extérieur. Dehors. Lentement. Longuement.
La vie, c'est l'écriture, à l'intérieur. Dedans. Lentement. Longuement.
Donc je marche, je zigzage, je lambine, je traverse, le plus souvent possible. Je navigue en mer urbaine, je nage en houle de bitume. Totalement. Quotidiennement.

Dès que je peux, je quitte le béton, l'acier, les gens, les mendiants et les orgueilleux pour rentrer chez moi, à Touquin. Écrire des trucs : des mails à des amis, des romans commencés, des trucs à broc.

La gambade, les parcours sinueux, rallongés, je connais. Je n'aime pas vraiment la ligne droite. J'aime bien me perdre, me paumer, m'étonner.
Tout en restant dans mon périmètre. En ce moment, le 10e, le 11e : une géométrie République-Oberkampf-Canal St Martin.

Ce soir, je dois rejoindre des amis, et aussi de biens belles personnes : Régis Clinquart, "RC", Alexandre Millon, Marielle (que je prends à ce moment pour une amie de Régis ; mais qui est la femme du bienheureux), Stéphanie, la poétesse à la poche.
Régis me fixe le rendez-vous au "Soleil", vers Ménilmontant m'explique-t-il. Je trouverai bien.

Je suis heureux aujourd'hui. J'ai pris la mesure du travail, des gens, des perspectives de chacun. Plus de questions. Plus de problèmes. Tout va bien.
Je marche le long du canal. Je souris à plein visage. J'accosterais les plus belles ce soir. Mais pour l'instant, je pense à des lèvres, à des lèvres d'une femme. Je m'imagine les caresser des miennes.
Je pense que la musique classique, un adagio de publicité, serait bien venu pour ce baiser idéal. Qu'il mériterait une récompense du plus beau baiser rêvé.
En rêvassant, la marche ne paraît qu'un moment, bref comme ce point.

Je dépose mes affaires, mon gros sac de livres et de sous-vêtements. Je prends l'essentiel : argent, carte, téléphone. Et mon invitation pour la soirée de Carl de Canada.
Il doit participer à la revue ; je dois lire ses carnets, je les attends. Il m'a prévenu de leur côté "trash". Qu'est-ce que cela veut dire ?
Je souris, je ris à la lecture de cette note d'intention : "too trash for you".
"Trash" ?
J'ai pris de la coke ? Je chie sur des femmes habillées de tulles rose gomme ? Je bouffe la merde de mon teckel ?
C'est quoi Trash ?

Je repars à l'abordage de la longue rue Oberkampf. Je la gravis allègrement. Paisiblement. Je croise des filles qui détournent leur regard du mien. Je les pénètre avec joie. Souriant.
Il fait beau. Je vais passer des moments de vie avec des gens qui me sont sympathiques.

Quelques hésitations arrivé à Ménilmontant. Je choisis néanmoins le bon côté et retrouve la tablée de buveurs de Ricard.
Marielle est donc la charmante femme d'Alexandre, une brune du tonnerre, qui me fait penser à Genevieve, une partenaire professionnelle, mais en plus raffinée, en plus doux, en plus nichonneuse aussi.
Je suis un incurable observateur mammaire. Je n'y peux rien. Ce n'est pas par impolitesse. C'est juste que j'aime ça.
Alexandre est un sympatique petit bonhomme rond. À la voix fuyante, grave et raillée. Il avait eu avant des cheveux. Il préfère dorénavant le bonnet.
Il y a aussi Stéphanie et son ami. Un brave gaillard plein de sympathie. Et Régis.

Je suis content de les voir. Et de les observer. Je m'éloigne un moment en pays de l'imaginaire, et je change les couples. Alexandre avec Stéphanie et Marielle avec l'homme fort dont le prénom est un mystère, un signe supplémentaire de son pouvoir.
Rires en moi, rictus sur mon visage en face de ce remodelage de la réalité. Je suis assez mathématicien, parfois.

Alex me parle de Frédéric Vignale, mon ami Vignale. Ils ont été, Marielle et lui, charmés par le play-boy messin. Par ses multiples activités (livres, collages, internet). C'est vrai, Fred se propage énormément. Je lui souhaite de finaliser un projet, en récompense de son labeur, en couronnement de son talent.

Marielle évoque la gentillesse de Valérie, si belle, si simple, si talentueuse. Je reviens sur ma frustration du loupé de "Mons" et de notre nuit au "Lido".
Valérie est au Japon, et je pense souvent à elle. En ce moment comme à d'autres.
Dîner dans le branchouille "Sherkan", mais pas si cher que ça. Le midi, j'avais pizzaïé chez "Da Mimmo" pour un prix supérieur, et sans vin.
C'est agréable. Stéphanie s'ennuit, nous l'ennuyons. Quelques remarques, quelques réponses soulignent son désintérêt.
Tant pis. Je considère pour ma part que le repas est chaleureux, gai et intéressant.

Alexandre s'émerveille sur la carte des vins ; et je m'enthousiasme d'une nouvelle coïncidence. Le resto ne propose que quelques rares vins parmi lesquels le petit vin du Var dont Alexandre nous parlait lors de la terrasserie au Soleil.

Le joli couple rentre soigner la migraine de la jolie. Stéphanie s'échappe enfin. Et nous partons avec Régis à la soirée rue du Bac.