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Ma cour est blanche de neige, comme dans les films américains
qui passent parfois à la télé. Ça me fait
penser à un lac, où dort au fond une princesse morte,
mais belle. Une fine couche recouvre la cuvette, simplement. Mais l’on
dirait une profondeur si effrayante. Je ne sais pas nager. Je crains
quand je n’ai plus pied. Tout est blanc. Comme dans un film de
Ford en Alaska. Ford a-t-il tourné en Alaska. Je ne sais pas.
Je reste sur le palier de la maison de mes grands-parents, derrière
deux personnes qui m’aiment sont assises dans un canapé,
un pouf pour soutenir leurs varices. Ma grand-mère a dû
me préparer un truc que j’aime, mon grand-père a
augmenté le son du Bigdil. Il a 76 ans aujourd’hui. Tout
est blanc dans la cour. C’est plus beau, moins moche. Serais-je
beau en homme de neige ? Dans un film de Ford en Panavision et un angle
grand comme le Grand Canyon. Recouvert d’un coton de neige. Je
me dis que je suis heureux sur ce palier, derrière la porte,
je vais encore m’emporter sur un bruit qui m’énervera,
un craquement de dentier, une cuillère gratteuse, et une télé
à la con. Tout est blanc ici. Je regarde le centre du tableau,
le point de fuite, je me noie. J’imagine que je coule, comme dans
les baïnes de Lacanau.
Je pleurerais bien ici et maintenant. Pourquoi je ne bouge pas, pourquoi
ne pas plonger ? Quitte à se casser le nez sur le gravier, coquin
caché. Sous le blanc, d’une neige japonaise. Je vois des
calligraphies chorégraphier sur le papyrus de neige. Guizèh
sous la neige. L’éternité est blanche. Ma main est
collée à la poignée, derrière, une table,
un couvert posé, une marmite mijote, du coca frais. Tout est
bien plus blanc dehors. Dehors où est-ce ? Je suis sur ce palier,
une loupiotte au-dessus de ma face déroutée.
Mon grand-père a 76 ans et tout est blanc partout. Et j’ai
bien plus envie de pleurer. Tout sera toujours blanc. Le blanc me possède
de sa morsure. Je suis toujours sur ce palier, quelle heure est-il ?
Mon grand-père a 76 ans, et dort devant la télé.
Tout est définitivement blanc.
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