|
"Fin
de race", continuité d'un littérateur.
J'ai lu Marcel Aymé, Jean Giono, Louis-Ferdinand Céline,
François Mauriac, Antoine Blondin, Jacques Laurent, Blaise Cendrars,
Paul Léautaud, Roger Nimier.
Mais avant eux, Drieu, Montherlant, Morand, Rebatet, Brasillach, Aragon,
Malraux. Mais aussi Bloy, Claudel ou Péguy, c'est en raison de
cette "trinité idéale" que j'aime tant Moix.
Nicolas d'Estienne d'Orves les a lus également, sans aucun doute.
Il y a aussi du Joseph Kessel, du Georges Blond dans ce récit
de la France des années 40 vu à travers les yeux d'un
jeune enfant, d'un jeune juif oublié.
Histoires
déplaisantes
Nathaël, fils de juifs, se retrouve planqué dans une institution,
une école "de surdoués". Il change de prénom
et devient Nicolas, affublé d'un nom breton.
Le roman commence par un viol, comme dans "Irréversible",
on remonte l'histoire, le viol de Rosa, la mère de Nathaël,
devant les yeux de Simon, son père torturé. Ils sont le
couple "Crémieux", grands chanteurs d'Opéra
; "Crémieux", nom de plusieurs intellectuels juifs
à l'action virulente pour les droits des juifs, Adolphe et ses
lois en faveur des juifs d'Algérie et Benjamin, l'essayiste israélite
par excellence.
En partance dans un camion, la mère pense à son fils
Son fils qu'ils avaient quelque temps auparavant confié à
un vieux pédagogue, Déodat de Villenègre, qui tient
une école renommée.
Le gamin y vit un peu reclus, ne comprenant pas son anonymat, et sa
judaïté, lui qui n'a jamais connu les synagogues et autres
yeshivot. Il se déclare Français, ni plus, ni moins.
L'école est tenue par la "famille", les Villenègre
dont Déodat, dit "le Gaulois", est le chef.
Tous les enseignants en sont membres, les trois filles, et les deux
maris des jumelles.
Des métayers, qui remontent à l'origine de la famille,
s'occupent de la maintenance, dans une institution aux forts relents
féodaux.
Nicolas reste seul, il ne fait partie d'aucun clan. Il se méfie
des autres, surtout des "cousins", Gérald et Sosthène.
Mais il sympathise avec Artus, "la pédale", un jeune
garçon qui vit en reclus depuis les accusations d'attouchements
des "cousins".
C'est lui qui raconte l'histoire de la famille au jeune Nathaël,
de son terrible passé d'inceste : Déodat serait le fils
de deux enfants des patriarches des Villenègre, et le demi-frère
d'un bébé anormal, issu de l'accouplement de son père
avec son autre sur.
« Je ne connais encore quune partie de lhistoire,
mais lidée que ce noble vieillard soit le fils dun
frère et dune sur incestueux, petit-fils dun
débauché et dune pucelle experte, demi-frère
dun enfant contrefait tué au berceau
cela me fascine.
» (p.131)
Il avait vécu seul avec sa mère, claustrés dans
leur propriété qui était leur seul univers. En
sortir, c'était dépérir. Tout devait rester en
famille.
C'est plus qu'un récit sur un petit juif caché dans une
institution, on nest pas très loin d'"Au revoir les
enfants", mais peut-être avec une ambiance "malsaine"
plus proche du "Roi des Aulnes". Ça englobe une plus
grande réflexion, sur ce monde traditionnel, catholique et aristocrate
qui s'engloutit dans ses perversions, dans une dissolution irrémédiable
; sur ce juif qui ne l'est pas, pourchassé tout de même
; sur ces soldats allemands, fascinants et disciplinés ; sur
la folie inhérente, sur l'absurdité de la condition humaine
Notes
pour comprendre le siècle
La fin est terrifiante
Le secret est terrible. L'objet des tests
que les Allemands imposent aux élèves est déconcertant
et si fort en projections possibles.
En dehors d'une utilisation abusive des métaphores (
comme
),
le roman est plus que captivant. On pénètre dans cette
ambiance de peurs, d'ignorance et aussi d'abrutissement par le biais
du jeune esprit de Nathaël. On s'aperçoit que la bête,
ou le système, ou le divertissement (cérémonies
païennes, films nazis, dans ce cas), permet toutes les manipulations.
Nathaël en oublie ses parents, reste spectateur de scènes
de violence terrifiantes, s'accommode de tout, même de la force
séduisante des occupants.
« ça y est : malgré la peur, le travail, la guerre,
les pensionnaires se sont habitués à cette vie de garnison
; ils ont fini par accepter son côté boy scout. Chaque
élève sest rendu compte quil vit une aventure
unique, comme certains vétérans gardent le souvenir émerveillé
des pires batailles » (p.235-236)
Nathaël, petit juif bourgeois, Nicolas, pensionnaire breton, tout
ça n'existe pas, n'existe plus, il est ce que le système
fait de lui : asservi aux maîtres (Déodat, les Boches,
Artus
), il exécute placidement ce qu'on lui dit de faire.
Fin
de race
de Nicolas DEstienne dOrves , Flammarion, 322 pages.
|
|